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incroyables inconséquences de la Reine pendant cette crise où tout fut inconséquent. Au lieu de s’attacher au ministre qui venait de se compromettre si gravement pour elle, elle le congédia comme elle avait congédié Narvaez : elle lui reprochait d’avoir trop prolongé les exécutions qu’il eût dû faire toutes en un seul jour, et elle rendait ses doctrines libérales responsables des soulèvemens progressistes. O’Donnell, outré de l’ingratitude, se retire à Rayonne ; Serrano le suit et, le lendemain même du jour où la scission entre unionistes et progressistes semblait irrévocable, ils mettent en commun leurs ressenti mens. Les unionistes adoptent à leur tour le programme révolutionnaire ; désormais la dynastie va être battue en brèche à la fois par les républicains, les unionistes, les progressistes, dont la division l’avait seule sauvegardée jusque-là. La mort d’O’Donnell (5 novembre 1867), retenu encore par certains scrupules, et contre qui Prim avait des griefs personnels, resserra le rapprochement. Pour rendre l’accord complet, les conjurés auraient dû s’entendre sur le gouvernement qu’ils substitueraient à Isabelle détrônée. Mais cette entente ne put se faire, les démocrates ne démordant point de leur république, à laquelle unionistes et progressistes ne consentaient pas. Ceux-ci voulaient un Roi. Mais lequel ? — « Il y en a un tout prêt, disaient les unionistes ; c’est le Duc de Montpensier, mari de l’infante : ce prince est libéral et en disgrâce à la Cour, parce qu’il condamne la politique rétrograde. Il sera un roi constitutionnel tel que l’Espagne le réclame. » — Que le prince fût disposé à rendre ce service à son pays d’adoption, il n’en fallait pas douter. Il faisait plus que l’accepter, il le sollicitait. En Espagne même, il trouvait dans sa famille le souvenir d’une velléité de ce genre. Le Duc d’Orléans, depuis régent, envoyé par Louis XIV au secours de son petit-fils Philippe V, ne s’était-il pas offert à prendre sa place ? Lui-même confessa à son ami Saint-Simon a que plusieurs gens considérables, grands d’Espagne et autres, lui avaient persuadé qu’il n’était pas possible que le Roi s’y pût soutenir ? et de là lui avaient proposé de hâter sa chute et de se mettre en sa place ; qu’il avait rejeté cette proposition avec l’indignation qu’elle méritait, mais qu’il était vrai qu’il s’était laisser allé à celle de s’y laisser porter si Philippe V tombait de lui-même sans aucune espérance de retour, parce qu’en ce cas il ne lui ferait aucun tort et ferait un bien au Roi et à la France de conserver l’Espagne dans sa maison, qui ne lui serait pas moins