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LA RÉVOLUTION D’ESPAGNE
(1868)

PRIM — NAPOLÉON III — BISMARCK


I

Quand j’ai connu la reine Isabelle, elle était vieille, pesante, difforme, mais sur son visage allumé il y avait encore quelque vestige de majesté, même de charme, et l’on comprenait qu’autrefois elle eût pu imposer et plaire. De très bonne heure elle s’était abandonnée à deux frénésies qui alternaient : la frénésie érotique et la frénésie cléricale. Elle allait successivement de l’alcôve au confessionnal, de l’amant au confesseur, du péché à l’absolution, sans se lasser ni sacrifier l’un à l’autre. Ces allées et venues coûtaient cher à l’État : les favoris régnans obtenaient pour eux et pour leurs amis des grâces et des privilèges dont l’excès mécontentait la Cour et l’armée ; les confesseurs inspiraient une politique rétrograde dont les libéraux s’indignaient, et peu à peu, à l’adoration qui avait entouré l’innocente Isabelle, avait succédé une hostilité croissante contre la Heine galante et dévote. Visiblement le trône penchait vers l’abîme.

Il y fût tombé depuis longtemps s’il avait été assailli par un parti unique, compact, sachant ce qu’il voulait et ayant un régime tout prêt à installer le lendemain de la Révolution. Or, on en était là. Seul le parti républicain, représenté par des hommes de la valeur de Rivero, Orense, Figuerola, Castelar, savait ce qu’il