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durer dans sa forme actuelle, mais c’est le principe même d’une seconde-chambre que la Douma semble mettre on cause : à moins que, tout en réservant l’avenir, elle ne se regarde aujourd’hui comme une assemblée constituante, et les assemblées de ce genre ont été le plus souvent des assemblées uniques. Mais alors c’est une redoutable question que la Douma pose, et nous craignons qu’elle ne le fasse sur un mauvais terrain. Le conflit pourrait en sortir.

Nous reconnaissons d’ailleurs que, loin de le rechercher, elle s’efforce de l’éviter : elle ne veut pas, en tout cas, le laisser naître sur une question secondaire, encore moins sur une question de pure forme. L’adresse a été votée avec une singulière rapidité, presque sans discussion, comme si l’assemblée elle-même lui attribuait le caractère d’une simple manifestation. Elle a réuni les adhésions de l’unanimité des votans, et, si on en croit les dépêches, un seul membre de l’assemblée l’a désapprouvée par son abstention. Une adresse ainsi votée doit être sans doute prise au sérieux, mais non pas au tragique. À dire vrai, c’est surtout la suite qui importe : il n’y a pas à s’effrayer outre mesure de ce commencement. Quand l’adresse a été votée, il a paru naturel que le président de l’assemblée la présentât à l’Empereur, ou lui en donnât lecture. M. Mouromtsef a demandé à être reçu à Peterhof dans cette intention : il lui a été répondu que l’adresse devait être remise au ministre de la cour. On fait en ce moment, à Saint-Pétersbourg, beaucoup de rapprochemens, à notre avis très artificiels, entre notre 1789 français et la situation présente. Nous ne savons pas, mais nous devinons à peu près ce que Mirabeau aurait répondu à un marquis de Dreux-Brezé dans un cas semblable. La Douma russe a montré une réserve plus politique. Si on avait compté la faire sortir des gonds par cette notification imprévue, on s’est trompé. Elle a ressenti probablement ce que l’intention avait de désobligeant, mais elle n’en a rien dit : elle s’est contentée de passer à l’ordre du jour en déclarant que l’importance de l’adresse était dans ce qu’elle contenait et non pas dans la manière dont elle serait transmise. On ne saurait trop approuver cette conduite. Elle montre que la Douma est maîtresse d’elle-même et se délie des entraînemens. Singulière assemblée qui ne ressemble peut-être à aucune autre et qu’il ne faut pas trop s’empresser de juger. Si elle est révolutionnaire dans ses revendications, elle est prudente dans ses procédés : mais le sera-t-elle jusqu’au bout, et qu’arrivera-t-il si elle rencontre des résistances dans les questions sur lesquelles elle ne croira pas pouvoir transiger ? Les événemens peuvent se précipiter. La situation ne sera