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A côté d’eux sont les ouvriers, en nombre beaucoup moins considérable. Ils ont commencé par se défier de la Douma et par ne pas prendre part aux élections d’où elle devait sortir ; mais depuis ils se sont ravisés. Ces ouvriers ne sont d’ailleurs que des paysans transportés dans les centres industriels, mais non pas déracinés, car la loi continue de les regarder comme faisant partie de la commune rurale. L’entente entre eux et les paysans a donc été facile et rapide, et ils ont formé ensemble le « parti du travail, » qui menace fort de ne pas être un parti conservateur. Il serait donc possible que les paysans ne réalisassent pas toutes les espérances qu’on avait mises en eux. Le mot d’ordre qu’ils se sont donné est : Terre et liberté ! Lorsqu’on en est venu à la rédaction de l’adresse, ils ont eu soin, d’accord avec les ouvriers, de faire figurer la liberté de la grève dans l’énumération de toutes celles qu’il s’agissait de consacrer. Mais nous anticipons sur les événemens ; il faut revenir un peu en arrière.

Dès que la Douma a été réunie dans la salle de ses séances, au Palais de Tauride, elle a réclamé l’amnistie : dans sa pensée, il s’agissait de l’amnistie totale, sans distinctions ni réserves. Mais les crimes ? Mais les pillages ? Mais les assassinats ? On a proposé à la Douma de se prononcer contre eux ; elle ne l’a pas fait. À côté d’elle, en même temps qu’elle, le Conseil de l’Empire s’est réuni. Le Conseil de l’Empire est, comme on le sait, la seconde ou, si l’on veut, la première Chambre : il se compose en partie de fonctionnaires désignés par l’Empereur, en partie de membres élus. Avons-nous besoin de dire que ce n’est pas sur lui que le pays a les yeux fixés ? M. Witte y a pris la parole. Il a combattu, non seulement l’amnistie intégrale, mais, semble-t-il, l’amnistie elle-même, en disant qu’elle devait suivre l’apaisement et non pas le précéder, et que, si on la faisait dans les conditions où elle était réclamée, si on mettait en liberté tous les anarchistes et tous les assassins, il fallait s’attendre à ce qu’une nouvelle révolution suivît aussitôt la première. Le discours de M. Witte a été pessimiste et morose. Il contient des observations et des avertissemens pleins de prudence, peut-être de sagesse ; mais les circonstances ont une force propre à laquelle il est difficile de résister. Évidemment l’amnistie s’impose ; on ne peut discuter que sur sa quotité, et elle doit être très large. Le gouvernement qui a cru habile d’aller au-devant de l’assemblée et de lui enlever la velléité de faire œuvre constituante en proclamant les « lois fondamentales », aurait bien fait de prendre encore une fois les devans sur elle et de décréter l’amnistie sans attendre qu’elle la demandât. Le Conseil de l’Empire s’en