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objet plat et uni, plus il creusera l’espace, plus il reculera l’horizon, plus, en un mot, il fera de la peinture « concave, » comme Fromentin le dit de Rembrandt, plus il remplira le but de son art, qui est de nous transporter bien loin du cadre où son œuvre est renfermée. Devant un tableau, il ne faut pas qu’on pense à la toile, à cette surface plane qui limite notre vision. Au contraire, devant la décoration d’un édifice, nous devons nous souvenir que l’édifice existe, qu’il a telle forme, et que cette forme est limitée par un mur. Il ne faut donc pas faire de trous dans ce mur. Les effets de Rembrandt, par exemple, sont le type de ce qu’il faut éviter, et, avec eux, tous les violens contrastes de valeur, qui donnent, sur un point, l’impression d’un grand relief ou d’une grande profondeur. Il n’est nullement besoin, pour cela, que toutes les figures soient sur le même plan ou que le paysage n’en ait qu’un, comme un talus de chemin de fer, mais seulement que les différens plans s’étagent ou s’éloignent graduellement et que, dans la répartition des masses d’ombre et des lumières, il n’y ait pas de telles masses obscures, ni de tels centres lumineux, qu’ils semblent des trous béans sur un puits de mine ou des lucarnes ouvertes sur le ciel. De même les figures, si elles ont trop de relief, paraissent sortir du mur, et, ainsi, rompent l’impression de surface plane et partout égale que le panneau décoratif doit donner pour rester une décoration.

Si l’on observe ces lois, du même coup on satisfait à une autre, qui est un peu moins générale, mais qui n’est pas moins impérieuse : le calme dans les figures et la sérénité dans reflet. Elle est moins générale parce que, tandis que les autres s’appliquent dès qu’il y a édifice et décoration, celle-ci ne s’applique dans toute sa rigueur qu’au cas où l’on doit vivre, d’une vie quotidienne, dans l’édifice où se trouve cette décoration. Et parce qu’aussi nombre de chefs-d’œuvre, comme le Paradis ou le Jugement ou la Victoire de Constantin, ou le Châtiment d’Héliodore, qui ornent des pièces où l’on ne vit point, démentent cette loi, longtemps elle a été méconnue par les décorateurs. En effet, si l’on n’habite pas la salle décorée, si l’on ne fait que s’y assembler parfois pour quelque cérémonie ou y rendre quelque visite solennelle et pressée, il importe peu que les figures placées par l’artiste y jouent des scènes dramatiques et passionnées. Mais, à la longue, des gestes violens, des scènes de carnage ou de transport, des grappes humaines, des chairs