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éblouissantes : le manteau noir où se voient toutes les couleurs, sauf le noir, le tapis, le fond de la boiserie, les broderies de l’uniforme, les plumes du chapeau ne sont qu’un échange de reflets merveilleux et qu’une apothéose du soleil. Mais l’homme disparaît tout entier dans l’enveloppement multicolore de cette gloire imprévue, et, lorsque les yeux, éblouis de flammes et d’or, remontent des pieds à la main, et de là, plus haut, cherchant à ce personnage des Mille et une nuits une tête, ils la découvrent sans doute au-dessus du cou, parce qu’ils savent d’avance que c’est là, d’ordinaire, qu’on la trouve, mais ils ne la perçoivent qu’en dernière analyse. Toute bariolée des reflets ambians, effacée dans la lumière, aplatie sur le fond, faite de toutes sortes de réactions extérieures, elle est, dans ce personnage vêtu de flammes, la partie de beaucoup, la moins attirante et la moins solide. Si dense et si bien installé dans l’espace que soit l’ensemble peint par M. Besnard, la face n’a plus qu’une épaisseur de fantôme. Et il était bien difficile qu’il en fût autrement. L’échec ici est l’échec d’un maître et, par là, plus instructif que cent des réussites qui l’entourent. Déployant de telles magies de couleurs dans ce qui n’était que l’accessoire, pour donner au principal plus de relief et plus de lumière encore, il eût fallu que M. Besnard eût à sa disposition du radium. Et cet échec, même, n’empêche nullement son œuvre d’être une fort belle association de couleurs, mais si l’on admet que, dans un portrait, la tête passe avant le chapeau, les plis du visage avant les plis du manteau, l’éclat des yeux avant celui des boutons et des orfrois, en un mot, l’homme avant la défroque, — cette défroque fût-elle aussi somptueuse que celle d’un invité au Camp du Drap d’or, — il faut bien avouer que ce n’est point là un « portrait. »

A l’autre bout du salon, aux Champs-Elysées, on trouve la contre-épreuve fournie par le portrait de Sir William Harcourt, de l’anglais Cope, où le costume n’est pas moins somptueux que celui de M. Barrère. Mais la méthode est différente. Et sans rien excuser de la somptuosité du costume, sans mépriser les mains, le portraitiste s’est tout de même souvenu qu’il faisait un portrait. La tête de Sir William Harcourt, fortement détachée sur le fond, modelée sans faiblesse, épaisse, sanguine, vivante, attire tout d’abord le regard et prévient celui qui passe qu’il est en présence d’un être humain. Sans doute, en peignant cette œuvre,