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LE SENTIMENT DÉCORATIF
AUX
SALONS DE 1906

« Tiens, tais-toi, tu n’es qu’un décoratif ! » — Cette suprême injure, que Gustave Doré jetait un jour pour clore une discussion, à quelque contradicteur, montre assez le peu d’estime qu’on avait, il y a cinquante ans environ, pour ce qu’on appelait les « arts mineurs. » Il était entendu que la décoration était une forme inférieure de la peinture ou de la sculpture et que le sentiment qui l’inspirait n’était point de ceux qu’on se vantait de posséder. En cinquante ans, quelle évolution singulière ! Ou plutôt quel renversement de tous les termes de la question ! Non seulement les œuvres où triomphe l’art appliqué sont entrées dans les salons de peinture et y occupent les meilleures places ; non seulement ces salons sont devenus de véritables appartemens meublés où l’on pourrait dormir, manger, boire, se chauffer, écrire et faire sa toilette, mais encore les tableaux eux-mêmes et les statues, les œuvres d’art qualifiées de « beaux-arts » se réclament de l’épithète jadis tant méprisée. Sous une foule de tableaux, se lisent en manière d’éclaircissemens : « Panneau décoratif » — « Modèle de tapisserie » — « Décoration pour une salle, du Capitole de Toulouse » — « Panneau décoratif pour le buffet diplomatique de l’Elysée » — « Décoration pour une salle du Parlement de Rennes » et, sous un groupe sculptural, cette justification : « Rêvé pour une maison du peuple. » On se pare, comme d’un titre, de ce qu’on repoussait comme une injure. Ce qui fermait jadis l’entrée des salons à tels grands artistes, Barye, par exemple, sert aujourd’hui