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inquiétudes qu’elle avait ressenties à son sujet. Le facteur penaud, baissa la tête ; mais, touché par tant de sollicitude, il jura qu’on ne l’y reprendrait plus. Et il tint parole.

En dehors de ses rapports de service, Tony Lix vivait à Lamarche d’une façon très retirée, s’occupant surtout de bonnes œuvres et n’ayant qu’un cercle très restreint de relations au dehors. Dans l’intimité, elle se plaisait à rappeler ses souvenirs de Pologne, son séjour si heureux au château de S… auprès de sa chère comtesse et de ses élèves auxquels elle restait tendrement attachée. Jamais un mot d’elle-même, et il fallait les instances réitérées de ses amis pour qu’elle consentit à parler de son rôle pendant l’insurrection.

Arriva l’année 1870.

Quand les Allemands foulèrent le sol de notre chère patrie, l’âme de la grande Alsacienne, de la vaillante Française tressaillit. Elle avait combattu pour l’indépendance de la Pologne, pour ses amis, pouvait-elle rester froide et inactive devant l’envahissement de notre pays ?

Elle n’eut pas une seconde d’hésitation et, avec son caractère ferme jusqu’à l’audace, se jeta résolument dans la lutte.

On apprenait un soir dans les Vosges la capitulation de Sedan. Une soixantaine d’hommes de tout âge, de toute condition se réunirent aussitôt pour organiser la défense du territoire et former une compagnie de francs-tireurs. La directrice des postes, équipée en homme, se présente avec un fusil d’une main, une épée de l’autre, empruntés, chez ses amies et voisines Mme de Bourgogne[1].

— Me voici, messieurs, cria-t-elle, enrôlez-moi ; un fusil de plus, c’est toujours ça.

Le nouveau capitaine, à l’élection duquel on venait justement de procéder, s’avance alors :

— Vous êtes reconnue, mademoiselle, dit-il en s’inclinant, ne cherchez pas à cacher votre identité.

Et en quelques mots, le brave homme raconte le passé de sa nouvelle recrue.

A l’unanimité des voix, Tony Lix fut nommé lieutenant des francs-tireurs. Et pendant la durée de la campagne, nul chef ne fut plus respecté, mieux écouté et ne donna un meilleur exemple d’intrépidité, de courage et de persévérance.

Avec une étonnante rapidité, elle apprit la théorie militaire et

  1. Les armes du commandant de Bourgogne.