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Quinze jours plus tard, nous donnions asile à huit insurgés de la légion du Désespoir. Pendant la nuit, arrivent des dépêches qui nous apprennent que les Russes en sont avertis et viennent pour les prendre. Nous essayons alors de les faire partir en secret, par une forêt dans laquelle une retraite leur est ménagée ; mais les paysans les trahissent, et nous sommes forcés de fuir à nouveau. En route, le cocher, dominé par la peur, jette son fouet, s’enfuit et nous laisse seuls dans cette voiture attelée de quatre chevaux fougueux. Je prends alors sa place sur le siège, mais, à peine avons-nous avancé de quelques pas, la voiture reste enfoncée dans les sables. Redescendant du siège pour saisir le premier cheval par la bride, je l’excite à avancer. L’animal fait alors un effort si violent qu’il me renverse et m’entraîne à une vingtaine de pas ; mais, comme je ne lâche pas prise, il finit par s’arrêter. Nous continuons enfin notre route et arrivons sans autre accident chez la comtesse Nierzejewska, où nous attend la plus aimable hospitalité.

Notre séjour n’y fut que de courte durée. La comtesse, ne pouvant s’accoutumer à la séparation d’avec son mari, resté seul au château, nous nous remîmes en route, au risque de ce qui pouvait arriver, pour revenir à Sycz. Le trajet s’accomplit sans incident ; mais de nouvelles alarmes troublèrent bientôt cette réunion de famille. Dans les premiers jours de février, le comte fut forcé de prendre la route de l’exil, les Russes ne parlant de rien moins que de lui faire faire un voyage d’agrément en Sibérie.

Avant de partir, il me recommanda, avec des larmes aux yeux, sa femme et ses enfans. Je jurai de les défendre ou de mourir avec eux. Il était parti depuis trois jours quand on nous annonce une visite domiciliaire des Russes. Je me hâte d’aller faire une perquisition dans le cabinet de travail du comte et d’amonceler dans la cheminée tous les papiers compromettans et les journaux suspects. J’étais en train d’activer le feu, quand la comtesse entra. Elle pâlit en me voyant faire et poussa un cri d’effroi : « Micha, Micha que faites-vous, s’écria-t-elle, toute la poudre d’Arthur est cachée dans le tuyau de cette cheminée ! »

Je frémis d’horreur et d’épouvante.

— Vite, vite, criai-je à la comtesse, prenez les enfans, sauvez-les ! — Et faisant une courte invocation à Dieu, j’arrachai tous ces papiers enflammés avant que le feu ait eu le temps de se communiquer à la poudre, heureusement bien enveloppée et disposée par