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est née le 31 mai 1839 à Colmar (Haut-Rhin). A quatre ans, elle perdit sa mère, Amélie-Françoise Schmidt, et c’est à son père, un brave et loyal soldat ayant servi sous Charles X, qu’incomba la lourde tâche d’élever l’enfant. Une mère prudente eût développé en elle le goût des occupations féminines, lui eût inculqué l’amour du foyer et de son intérieur ; mais le soldat, assez embarrassé sans doute de ses fonctions éducatrices, trancha la difficulté en habillant l’enfant en garçon pour l’élever, disait-il : « comme je l’ai été moi-même. Je lui apprendrai l’exercice, je la rendrai de première force à l’escrime, je lui enseignerai ma méthode pour se tenir solidement à cheval. Avec tous ces talens, je veux bien que le diable m’emporte si la petite ne fait pas son chemin dans le monde ! Je l’ai bien fait, moi ! »

Docile aux leçons de l’ex-grenadier, Antoinette montra de remarquables aptitudes pour les exercices violens, auxquels elle se livra avec toute l’ardeur et l’impétuosité de sa nature. A dix ans, elle manœuvrait admirablement le fusil, faisait de l’escrime comme un maître d’armes et montait à cheval aussi bien que son père.

Mais arriva un moment où il fallut dire adieu aux promenades, à la vie libre au grand air, aux courses an trot et au galop. Cédant aux représentations de ses amis, son père l’obligea à échanger ses habits de garçon contre des vêtemens de fille et la mit au pensionnat des sœurs de la Divine Providence à Ribeauvillé. Elle souffrit beaucoup de son changement d’existence et donna bien du souci aux bonnes religieuses, qui eurent toutes les peines du monde à lui faire tenir l’aiguille pour repriser le linge ou ourler des serviettes. Mais l’enfant possédait une nature d’élite unie à une fervente piété, et, quand une chose l’ennuyait ou la rebutait, il suffisait de lui rappeler que le devoir et la religion commandaient l’obéissance pour la voir redevenir immédiatement docile. Seulement, c’était à recommencer chaque jour.

Nature sérieuse et réfléchie, elle s’adonna avec passion à la lecture : ses goûts naturels et l’éducation reçue la poussèrent dans la suite à faire des études plus fortes que ne les faisaient à cette époque les femmes et à travailler tout particulièrement les langues étrangères dont elle devait tirer grand parti plus tard. Un peu avant la mort de son père, elle accepta avec empressement la proposition qui lui fut faite d’aller en Pologne pour achever l’éducation des enfans de la comtesse L…