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« Qui en veut ! qui en veut ! » engageaient pour 60 fr., — c’était le prix ordinaire sous Louis XVI, avec un léger supplément pour ceux qui étaient beaux hommes, — se laissaient tenter plutôt par l’appât de la monnaie et d’un repas copieux que par celui de la gloire. Ils ne s’attendaient pas à devenir des guerriers épiques.

Les soldats de l’ancien régime, une fois sous les drapeaux, ne touchaient pas le quart de leurs prédécesseurs du moyen âge, à peine la moitié de leurs devanciers au milieu du XVIe siècle. Le simple fusilier, outre le « pain du roi » en nature, ne recevait alors en argent qu’une indemnité annuelle de 125 fr. ; le grenadier et le cavalier français avaient 150 fr. Seul le fantassin de régiment étranger, mieux traité, avait 400 fr.

Entre l’homme de pied et l’homme de cheval la distance n’était plus au XVIIIe siècle aussi tranchée que sous Louis XIII (1639) où la solde de 22.000 cavaliers coûtait 400.000 fr. de plus par mois que celle de 125.000 fantassins ; mais, entre les officiers des différens corps, la démarcation demeurait profonde au point de vue des appointemens : un lieutenant de mineurs — ou du génie — touchait autant qu’un colonel d’artillerie. Le capitaine du régiment de cavalerie Royal-Allemand touchait sept fois plus que le capitaine de fusiliers. Le mestre-de-camp de cavalerie ordinaire avait le double du colonel d’infanterie. Sauf les armes spéciales, d’un effectif insignifiant et un petit nombre de régimens étrangers, la masse des officiers qui composaient l’armée française n’avaient alors qu’un traitement médiocre ; surtout si l’on songe qu’ils avaient payé leur grade assez cher. C’est même là ce qui rend les comparaisons difficiles, avec notre époque.

Les trois ou quatre colonels-généraux s’étaient, pendant une moitié du XVIIe siècle, taillé des recettes énormes dans le budget de la guerre : celui des Suisses 500.000 fr. ; celui de l’infanterie 320.000 fr. ; celui de la cavalerie légère 90.000 fr. Les personnages revêtus de ces charges étaient des espèces d’entrepreneurs militaires ; les commissions proportionnelles qu’ils prélevaient n’étaient rien, avec les petites troupes de Henri IV ; elles grossirent démesurément avec les armées de Louis XIV. Sauf ces fonctions, supprimées par Louvois, sauf les gouverneurs de province qui continuèrent jusqu’à la fin de la Monarchie d’émarger largement au budget, et les maréchaux de France qui obtenaient, outre leurs traitemens, de fortes indemnités de campagne, les soldes,