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De ces 235 milliards de francs, le cinquième à peu près échappe, pour divers motifs et de façon diverse, aux prises de la taxe successorale. Les valeurs déclarées ne s’élèvent en totalité qu’à 187 milliards ; et déduction faite du passif exempt de l’impôt, à 174 milliards. Remarquons, entre parenthèses, que la croissance de cette fortune française est très récente : elle a plus que quadruplé en soixante-quinze ans. D’après les chiffres authentiques, fournis par l’administration fiscale, elle ne dépassait pas quarante-six milliards en 1826, atteignait 70 milliards en 1850, 136 milliards en 1869 et 204 milliards en 1900.

La hausse est même plus grande en réalité qu’en apparence, puisque, depuis trois quarts de siècle, la multiplication des valeurs au porteur, l’usage des dépôts et placemens à l’étranger, permet aux ce assujettis » de dissimuler, plus aisément et dans une proportion plus forte, des biens qui, sous la Restauration et sous Louis-Philippe, consistaient presque exclusivement en maisons et en terres. D’après les successions déclarées, la fortune mobilière française n’était, en 1851, que de deux milliards et demi de francs, elle était passée à 25 milliards en 1880 et à 73 milliards et demi en 1900. Or on vient de dire qu’elle est effectivement de 109 milliards.

Cette différence tient à plusieurs causes ; il existe quelques doubles emplois dans les évaluations : par exemple, au recensement des propriétés foncières ne devraient pas être compris les gares et le sol appartenant aux chemins de fer ; puisque les actions et obligations des compagnies figurent au total des valeurs mobilières. Or, parmi les titres de chemins de fer, il en est qui font partie du portefeuille des sociétés d’assurances. Certains capitaux risquent d’être ainsi additionnés plusieurs fois. D’ailleurs la possession de valeurs françaises par des étrangers et surtout les efforts faits par les Français pour se soustraire au paiement des taxes, suffisent à expliquer l’écart entre les capitaux constatés et les capitaux existans.

Les fuites, vraisemblables et impossibles à prévenir, proviennent autant des petites bourses que des gros portefeuilles, autant des chaumières que des châteaux, où, d’une génération à l’autre, les titres, les « papiers, » se transmettent sans souci des formalités et des gens de loi.

Prenons la fortune de 174 milliards, — passif déduit, — et voyons à qui elle appartient : pour la plus grande part, à un très petit