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et Michelet, garans de son anticléricalisme. Le souvenir de sa lutte récente contre Haussmann le recommandait. Ami de Gambetta, il adopta les principes du cahier de Belleville : « Pour fonder en France une libre démocratie, il ne suffit pas de proclamer : l’entière liberté de presse, l’entière liberté de réunion, l’entière liberté d’enseignement, l’entière liberté d’association. Ce n’est pas assez de décréter toutes les libertés : il faut les faire vivre. La France n’aura pas la liberté, tant qu’elle s’obstinera dans le système des armées permanentes, qui entretiennent, d’un bout de l’Europe à l’autre, l’esprit de haine et de défiance ; qui, à l’intérieur, éternisent les gros budgets, perpétuent le déficit, ajournent indéfiniment la réforme de l’impôt, absorbent enfin dans des dépenses improductives les ressources qu’exige impérieusement la grande œuvre sociale de l’enseignement populaire. Aussi faut-il vouloir par-dessus tout la décentralisation administrative, la séparation absolue de l’État et de l’Église, la réforme des institutions judiciaires par un large développement du jury, la transformation désarmées permanentes. Ce sont là des « destructions nécessaires : » en y travaillant, la génération actuelle préparera de la manière la plus sûre l’avènement de l’avenir. — JULES FERRY. »

Il ne s’agissait pas de faire vivre la liberté, mais de faire mourir l’Empire. Jules Ferry s’en est vanté plus tard : « Je parle devant un certain nombre de citoyens qui connaissent fort bien l’histoire de ce programme de 1869, qui l’ont fait avec nous et qui, par conséquent, se rappellent les circonstances. Le programme de 1869 était avant tout sous une forme législative la négation du pouvoir impérial ; il s’agissait alors de désarmer le pouvoir impérial, de lui enlever pièce à pièce toute l’autorité dont il pesait sur le suffrage universel par la candidature officielle, sur la presse et sur les réunions par les lois répressives que vous connaissez, sur la justice, sur l’armée, sur le clergé. Le programme de 1869, c’était, en définitive, sous une forme légale, la déchéance de l’Empire par le désarmement progressif, continu du pouvoir impérial[1]. » Et ces bons apôtres se plaignaient d’être calomniés quand on les accusait d’être des hommes de mauvaise foi préparant une subversion.

  1. Discours du 30 août 1885, à Bordeaux.