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journaux démocratiques radicaux qui conduisirent l’action. Le Journal des Débats et le Temps ne furent que des spectateurs ou des comparses. L’initiative et la décision appartinrent à l’Avenir national, de Peyrat, au Réveil, de Delescluze, devenu quotidien, au Siècle, devenu révolutionnaire. Au dernier moment, vint s’y adjoindre le Rappel, fondé par les fils de Victor Hugo, Meurice, Vacquerie et Rochefort. Le pontife le baptisa par une aspersion d’antithèses incohérentes. Par-ci, par-là, on y retrouvait une petite mélodie poétique : par exemple sur la »studieuse et fière multitude d’intelligences, toutes frémissantes de la joie d’éclore, qui, le matin, peuple les écoles, et qu’il remercie du doux murmure que si souvent, comme une lointaine troupe d’abeilles, ils viennent faire à son oreille. » En somme, incompréhensible fatras d’idées et de phrases sans aucun sens, et dont l’apparence sibylline cache le néant de la déraison ; la malice était dans le trait final : « Quant à moi, pendant qu’à l’occasion de sa noce d’or l’Église couronne le Pape, j’émiette sur mon toit du pain aux petits oiseaux, ne me souciant d’aucun couronnement, pas même d’un couronnement d’édifice[1].

Ce fut à cet aréopage de sages que Delescluze proposa de ne présenter dans toutes les circonscriptions qu’une seule candidature, celle du frère de l’héroïque Baudin. C’eût été le défi direct porté à l’Empereur. On lui rit au nez. Qui donc se souciait véritablement de l’héroïque Baudin ? On ne voulut pas entendre parler d’une protestation anonyme. Il ne s’agissait pas de sacrifier les personnes aux idées, mais de mettre le plus grand nombre de personnes en mesure d’exploiter les idées. On décida de présenter des candidats dans chacune des circonscriptions.

On s’accorda pour accepter la candidature de Jules Simon, que le radicalisme saluait comme son docteur ; d’Ernest Picard, « un peu trop bourgeois et modéré, » mais dont l’esprit faisait la joie des Parisiens ; de Pelletan, qui avait conquis l’admiration par ses virulentes sorties contre le coup d’État et Napoléon Ier. Il semblait qu’on n’eut pas dû présenter une objection contre Thiers et Jules Favre qui, certes, s’étaient assez prodigués au service de la liberté, tout en ne desservant pas les haines irréconciliables. L’Avenir, le Rappel et le Réveil les estimèrent suspects. Pour eux, Thiers était

  1. 25 avril 1869.