Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/584

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec précaution, on les formait à haute voix et d’un accent résolu. Thiers eût été le chef de ce mouvement si l’on avait cru à la sincérité de ses affirmations dynastiques, mais on n’y voyait qu’un passeport pour ses attaques et, par cette raison, ceux qui voulaient améliorer et non détruire, me jugeant de bonne foi résolu à exécuter ce que j’annonçais, s’étaient groupés autour de moi. A Paris et dans les grandes villes la disposition des esprits était tout autre : on y mettait aux voix le renversement de l’Empire et la vengeance de 1852. Aux candidats on ne demandait pas s’ils défendraient la liberté, mais s’ils prendraient parti pour la Révolution.

Les procédés de lutte, du côté du gouvernement, comme de celui de l’opposition furent également incorrects et méritèrent mêmes censures. Forcade reprit sans scrupule les précédens consacrés : les affiches blanches, les bulletins distribués par les maires et les gardes-champêtres, les menaces, les promesses collectives ou individuelles, l’évocation du spectre rouge, les fonctionnaires publics de tous les degrés mis en réquisition et le combat contre les candidats non agréés imposé comme un service public.

Un des types de la candidature officielle est particulièrement accentué dans celle de Duvernois. On avait commencé par acheter le retrait du député des Hautes-Alpes en fonctions, Garnier, par une place de conseiller-maître à la Cour des comptes ; le terrain déblayé, Duvernois débarqua dans un pays où personne ne le connaissait, le préfet le présenta aux populations, comme le candidat personnel de l’Empereur, « Écoutez la voix de votre patriotisme, consultez votre dévouement à S. M. et donnez-lui ce nouveau témoignage d’affection et de reconnaissance en votant pour l’homme qu’il honore de son estime et de ses sympathies. » Et pendant toute la période électorale les faveurs pleuvent sur le pauvre département peu habitué à cette manne : chemins, canaux, endiguemens, promesses de pâturage dans les bois interdits en vue de reboisement, etc.

Cependant il est juste de reconnaître que si le gouvernement ne se refusa aucun moyen contre ses adversaires, il leur permit de les employer tous contre lui. Contre le spectre rouge, l’opposition dressa le spectre du 2 décembre. Les uns étalèrent Castellidardo, les autres Mentana, tous le Mexique, le mauvais état des finances, l’abaissement de la France ; tout ce qui arrivait de mal était la faute du gouvernement : on avait inventé même de lui reprocher la