Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/560

Cette page a été validée par deux contributeurs.

militaire et administrative. Ces faits, comme on le devine, dépendent surtout des vicissitudes humaines et sont loin d’avoir toujours une véritable valeur ou un sens réellement géographiques. Toutefois certaines conditions géographiques fondamentales, situation topographique, altitude, orientation, proximité de la mer, dimensions de l’espace occupé ou conquis, etc. jouent un rôle tel dans les destinées des cités, des provinces ou des États que l’histoire de ces faits ne peut être sevrée de toute considération géographique. Bien plus l’histoire humaine plonge par toutes ses racines, si l’on peut ainsi parler, dans la réalité matérielle terrestre.

Est-ce à dire qu’on puisse expliquer toute l’histoire par la géographie ? Assurément non. Tantôt les historiens n’ont regardé sur la surface de la terre que ces étiquettes artificielles qui sont les noms propres, les noms des montagnes, des cours d’eau ou des villes : tantôt, réagissant contre cette vue toute abstraite de la réalité terrestre, ils ont tenté d’établir des rapports généraux entre les caractères géographiques de tel ou tel pays et ses destinées historiques ; pour leur malheur, ils abordaient la géographie humaine par la fin, et ils s’acharnaient à en résoudre d’abord les problèmes les plus obscurs et les plus difficiles. L’histoire se déroule sur la terre ; mais elle est faite des élémens les plus complexes, les plus mêlés, les plus éloignés des conditions géographiques élémentaires. C’est par des faits intermédiaires — faits de la deuxième série, culture, pâture, etc., et par des faits de la troisième, faits de géographie sociale — que s’explique surtout le retentissement profond de la géographie dans l’évolution des sociétés humaines.

En vertu d’une singulière illusion, la « géographie historique » qui est la partie de la géographie humaine la plus compliquée, est à la fois l’entreprise géographique la plus audacieuse, la plus aventureuse, et celle qui a souvent paru le plus aisée. Qui jette les yeux sur une carte des Îles Britanniques et qui se remémore vaguement l’histoire de l’Angleterre établit si vite un lien entre l’isolement insulaire de ces terres et leur destinée historique qu’il invoque aussitôt la géographie comme cause explicative de l’histoire ; et il n’a point tort. Mais ces premières connexions d’ensemble sont si visibles et si vraies qu’une intelligence ouverte suffit à les discerner ; nul n’a besoin d’un apprentissage pénible de l’observation pour apercevoir l’influence générale de l’« insularité » de l’Angleterre sur la politique et la destinée de Napoléon Ier. Mais