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doit se résigner à ne tenir ses deux villes qu’au jour le jour, et, pour s’y maintenir de jour en jour, a les contenir, à les reconquérir ou les réacquérir chaque jour. Perpétuel qui-vive, lutte sans répit où la force et l’astuce se mélangent en proportions variables suivant les momens et les circonstances ; où ce sont deux armes égales ; où, alternativement, le lion fait le renard et le renard lait le lion, s’il n’était d’ailleurs tout à fait excessif de dire de Girolamo Riario ce qu’il sera encore exagéré de dire de César Borgia, et s’il pouvait vraiment faire le lion, dont il n’a ni la dent, ni la griffe, ni le mufle, ni la crinière.

Mais ce n’est pas la volonté qui lui en manque. Il est parfois dans le même acte et presque dans la même minute impitoyable et pieux. Une conjuration éclate à Forli, en octobre 1480. Deux prêtres et deux serviteurs du châtelain décident de s’emparer de la rocca (du donjon, de la forteresse) et de la remettre aux Ordelaffi. Mais un autre prêtre, qui sait tout, prévient le gouverneur, qui prévient le comte. Girolamo exile les deux prêtres dans la Marche, puis il les libère. Les deux autres coupables, qui étaient le père et le fils, sont pendus. Un mois après, seconde conjuration, toujours au bénéfice des Ordelaffi. Cette fois on vit cinq cadavres se balancer aux fenêtres du palais. En outre, trois accusés furent bannis, mais le comte, fidèle à sa politique, ne tarda pas à leur faire grâce. Il ne fit pas grâce, croit-on, à Roberto Malatesta, seigneur de Rimini et capitaine des Vénitiens, dont il enviait la gloire et les talens militaires. Particulièrement jaloux de la victoire de Campo Morto, on l’accusa du moins de bien connaître les causes de la dysenterie suspecte qui, en quelques semaines, emporta Roberto. Quant à Andréa Chelini, dont tout le crime était d’avoir donné un conseil, et un bon conseil, lui aussi mourut prématurément, d’une mort que le chagrin n’explique peut-être pas assez. Magnifique et accoutumé à dépenser à pleines mains, bien qu’il puisât dans les coffres de l’Église, il dut tomber en une fiscalité qui se tourna vite en un système d’exactions effrontées. Biens des couvens et des particuliers, terres laïques et ecclésiastiques, revenus de la cité et de la vicomte, maisons, chapelles, missels, reliques, ornemens, vases sacrés, tout lui fut bon : il fit argent de tout. A Rome, il rançonne impartialement auditeurs de robe, scribes apostoliques, stradiotes : trois mille ducats par ci, mille par là. C’est son prix, prix de faveur, mille ducats, pour les bourses et les emplois modestes, mais il ne souffre pas qu’on ose discuter. « Ah ! vous ne les avez