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dit qu’elle voudrait qu’il s’en ensuivît la mutation de l’Etat, mais sans la mort de personne. Et, comme je lui dis, en présence du comte Girolamo et de l’archevêque (Francesco Salviati) : « Saint Père, ces choses pourront peut-être mal se faire sans la mort de Laurent et de Julien, et peut-être des autres ; » Sa Sainteté me dit : « Je ne veux la mort de personne pour rien[1], parce que ce n’est pas notre office de consentir à la mort de personne ; et, bien que Lorenzo soit un vilain, et qu’il se conduise mal envers nous, pourtant je ne voudrais sa mort pour rien, mais la mutation de l’Etat, oui. » Et le comte répondit : « On fera tout ce qui se pourra pour que cela n’arrive pas ; pourtant, si cela arrivait, Votre Sainteté pardonnerait bien a qui l’aurait fait. » Le Pape répondit au comte et lui dit : « Tu es une bête ; je te dis : je ne veux la mort de personne, mais la mutation de l’État, oui. Et ainsi je te dis, Giovanbaptista, je désire beaucoup que l’État de Florence soit changé, et ôté des mains de Lorenzo, qui est un vilain et un mauvais homme, et ne fait pas estime de nous : pourvu qu’il fût hors de Florence, lui, nous ferions de cette République ce que nous voudrions, et ce serait pour nous grandement à propos. » Le comte et l’archevêque qui étaient présens dirent : « Votre Sainteté dit vrai, que, quand vous aurez Florence à votre discrétion et quand vous en pourrez disposer, comme vous le pourrez si elle est aux mains de ceux-ci, Votre Sainteté fera la loi à la moitié de l’Italie, et tout un chacun aura pour cher d’être votre ami ; ainsi donc consentez que toute chose se fasse pour en venir à cet effet ». Sa Sainteté dit : « Je te dis que je ne veux pas : — allez, et faites comme il vous paraît bon, pourvu qu’il n’intervienne pas de mort. » Là-dessus, les trois conspirateurs se retirent dans la chambre de Girolamo, discutent encore, et concluent que la chose, — c’est-à-dire « la mutation de l’État de Florence, » — que le Pape veut plus que tout, ne peut se faire sans la mort de Laurent de Médicis et de son frère, dont il ne veut pour rien. Giovanbaptista a des scrupules, ou, après coup, mis à la question, il prétendra en avoir eu ; mais le comte et l’archevêque « répondirent que les grandes choses ne se pouvaient faire autrement, » et, pour le prouver, alléguèrent toute sorte d’exemples qu’il serait long de

  1. A aucun prix. Mais il importe de ne pas faire disparaître dans la traduction une équivoque qui est peut-Cire intentionnellement dans le texte et qui résulte de la place des mots et de l’affirmation insistante : « mais la mutation de l’État, oui. »