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historiens de cour doivent s’ingéniera lui fabriquer une généalogie. Toutes les généalogies du monde ne peuvent faire que le père de Francesco n’ait été un pauvre pêcheur, Leonardo Rovere, et sa mère, une pauvre femme, Lucchesina Mugnone. Quoi qu’il en soit d’ailleurs, l’étoile de la famille est, avec Sixte IV, en ascension droite. De ses quinze neveux, deux sont cardinaux : Giuliano, évêque de Carpentras (le futur pape Jules II) et un franciscain de vingt-cinq ans, Pietro Riario, qui sera tour à tour ou cumulativement évêque de Trévise, patriarche de Constantinople, archevêque de Florence, Séville et Mende, plus riche à lui seul que tout le Sacré Collège. Or, comme le père du pape était un pauvre pêcheur, le père de l’opulent et fastueux cardinal de Saint-Sixte était un pauvre artisan de Savone, cordonnier ou savetier. Pietro Riario avait un frère, Girolamo, — et tous les deux passaient, — comment indiquer cela sans scandale ? — pour être plus chers au pape que ne le sont les plus chers neveux. Girolamo était le pire. Inculte, violent, « rude et sauvage nature d’homme, » il avait commencé par être, selon les uns, écrivain, gratte-papier au bureau de la gabelle ; selon les autres, épicier. Jamais, quelque honneur qu’on lui en promît, on n’avait pu le décider à entrer dans les ordres. Le pape, le voyant tranchant, impétueux, le crut né pour le commandement, et, ne pouvant en faire du premier coup un prince, en fit « le support, le pivot du principat civil de l’Eglise[1] : » capitaine général de l’armée pontificale et gouverneur du château Saint-Ange, avec toutes facilités pour mettre le Trésor au pillage et Rome en coupe réglée : un petit César Borgia avant Alexandre VI. Girolamo Riario a la main, sinon dans la conjuration des Pazzi, qui allait aboutir à la tragédie de Santa Reparata de Florence le 26 avril 1478, au moins dans les intrigues qui la précèdent et la préparent, parce qu’il craint, tant que vivra Laurent de Médicis, de ne tenir qu’en possession précaire Imola qu’il s’est fait donner malgré celui-ci. La trame s’ourdit au Vatican, et Sixte IV y aide, quoiqu’il ne décide pas tout, et qu’on le consulte moins pour savoir s’il approuve « avant » que pour savoir si, « après », il pardonnera. Il se joue là une scène, que nous connaissons par la « confession » d’un des interlocuteurs, Giovan Ratlista da Monte-secco, décapité le lendemain du jour où il fit ces aveux, et qui respire le machiavélisme le plus authentique. « Sa Sainteté me

  1. Pasolini, ouv. cité, I, 91.