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voudrait être jamais qu’aimable et complaisante en toute chose à son mari !… Pardonne-moi si je t’ai contrarié, je prierai, je ferai prier tant de bonnes âmes, pour que Dieu te pardonne tout, et reçoive ton âme en paix ! »

Si je transcris ici cette longue déploration funèbre, ce n’est pas seulement à cause de son accent et de son éloquence : Bianca Maria y pleure plus amèrement que pour la perte d’un époux même très aimé, même adoré ; et peut-être est-ce le remords qui y pleure. Ce motif qui revient sans cesse : « Pardonne-moi de t’avoir contrarié, » monte à la fois, peut-être, du cœur et de la conscience. En se repentant, avec cette insistance véhémente, de n’avoir pas complu en toute chose à son mari, elle pensait peut-être à la triste aventure de sa jeune suivante Perpétua, séduite par le duc et qui en avait eu un fils. On lui avait d’office trouvé un mari, et la cérémonie était fixée, quand, le jour même des noces, la demoiselle fut enlevée et conduite de vive force dans un château. Nul ne la revit jamais plus. Le bruit courut que la duchesse, ayant tout appris, l’avait fait prendre et tuer par ses sbires. Sur quoi l’un des derniers biographes des Sforza remarque : « Dans les fortes natures de ce siècle, tout contraste était possible. D’admirables, en un instant, toutes pouvaient devenir terribles. » L’épithète de fort et de forte est en effet la seule qui convienne. Ce sont de fortes natures, des hommes forts et des femmes fortes. Voici venir la virago, la femme forte, la femme virile, celle qui a la virtù de l’homme et de l’homme fort, celle dont c’est faire l’éloge, sans y mêler rien de désobligeant, que de l’appeler ainsi, et qui, tout en étant presque un homme, peut être néanmoins très femme, et joindre, en l’occasion, à toute la force de l’homme fort, toutes les faiblesses de la plus faible des femmes. Elle se dessine en Bianca Maria, comme en sa tante par alliance Margherita Attendolo, comme en bien d’autres, Maria di Pozzuoli, Cia degli Ordelaffi, Bartolommea Orsini, en attendant qu’elle s’achève et pour ainsi dire se sculpte, ainsi que dans le marbre ou le bronze, en Caterina Sforza, la petite-fille de Francesco.

Justement, le mari de Caterina est Girolamo Riario, vicomte de Forli et d’Imola. Neveu du pape Sixte IV (Francesco della Rovere de Savone, dit Francesco da Savona), sa naissance est au moins obscure. « Homme de très basse et vile condition, » ainsi parlent du pape lui-même Machiavel et les contemporains, si plus tard des