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ennemis eussent pu le faire prisonnier, mais, à sa vue,… spontanément ils avaient jeté les armes, et l’avaient salué, le front découvert, parce que chacun reconnaissait en lui le père commun de tous les soldats[1]. » L’esprit de Francesco Sforza est constamment tendu vers la couronne. Il se fraye la voie par ses mérites et par ses artifices, dont le premier est un mariage princier avec Bianca Maria Visconti, fille de Filippo Maria, duc de Milan, dernier de sa race. La mort de ce duc le surprend en Romagne, chez les Attendoli, sur la terre maternelle, à Cotignola. Il part aussitôt avec quatre mille chevaux et deux mille fantassins, afin de se saisir de Crémone, donnée en dot à sa femme. Bianca Maria a pour mère, non la veuve du duc, Maria di Savoia, mais sa favorite, Agnese del Maino, car elle aussi est illégitime, comme Francesco Sforza, et, bien que princier, c’est un mariage de bâtards. La veuve en appelle à sa famille, la maison de Savoie ; la fille à son mari, l’heureux condottiere. Celui-ci s’avance, annonçant qu’il va rejeter les ducs de Savoie par-delà les Alpes et enrichir ses gens des dépouilles du Piémont. Que des soldats ou des sujets du duc lui tombent aux mains, il refuse de les traiter « suivant l’usage d’Italie » (ad uso d’Italia), mais il les malmène, les rançonne ou les met à mort. Il n’a pour la duchesse veuve que des sarcasmes et des réponses déshonnêtes (beffe e disoneste risposte).[2]. Le maréchal de Piémont écrit au pape Félix V (Amédée VIII de Savoie, père de Maria) qu’on ne peut s’arranger avec lui, que c’est un homme sans foi[3]. Tel se montre Francesco avant la victoire, pendant les trente mois du siège, et jusqu’à ce que la famine lui ouvre les portes de la ville. Dans le succès, il n’est plus le même. Aucune dureté, aucune morgue, aucune hauteur ; « il s’unit à la joie du peuple, il salue par leur nom les amis, les connaissances faites depuis son premier âge ; il ordonne aux soldats de se laisser dévaliser par la foule affamée qui se jette avidement sur leur pain. » Les Milanais ont préparé pour son entrée un char triomphal et un baldaquin de loi le d’or : il n’en veut pas et remercie en disant « qu’il se rend à l’église pour faire hommage au maître de l’univers devant qui tous les hommes

  1. Pasolini, d’après Corio. ouv. cité, I. 15.
  2. D’après une note écrite par Antonio Bolomyer, secrétaire intime du feu duc, le 28 février 1449. — Voyez Antonio Casati, Milano e i principi di Savoia. page 34.
  3. Lettre du 15 avril 1449. — Casati, ouv. et passage cités.