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Nous nous occuperons, quant à nous, beaucoup moins de Machiavel que du machiavélisme, et de Machiavel seulement par rapport au machiavélisme. Mais prenons garde. Il y a machiavélisme et machiavélisme. Il y a un vrai et un faux machiavélisme : il y a un machiavélisme qui est de Machiavel, et un machiavélisme qui est quelquefois des disciples, plus souvent des ennemis de Machiavel. Cela fait donc deux machiavélismes, et même trois : celui de Machiavel, celui des machiavélistes, et celui des antimachiavélistes. Bien plus, en voici un quatrième : celui des gens qui n’ont jamais lu une ligne de Machiavel et qui se servent à tort et à travers des verbes, substantifs et adjectifs tirés de son nom.

Machiavel ne saurait pourtant être tenu pour responsable de ce que, dans la suite, les uns et les autres, le premier ou le dernier venu, se sont plu à lui faire dire : il n’a dit que ce qu’il a dit ; ce n’est pas chez eux qu’il faut aller chercher le machiavélisme, c’est chez lui ; et si, dans l’usage, dans le langage courant, il y a plusieurs machiavélismes, — ce qui embrouille tout, — en bonne justice il ne peut et il ne doit y en avoir qu’un, qui est le machiavélisme de Machiavel, pris directement à sa source, en Machiavel même.

Mais celui-là, le machiavélisme authentique et original, légitime, né sûrement de ce père, à tel jour et en tel lieu, est-il bien certain qu’il existe ? En d’autres termes, Machiavel a-t-il institué une doctrine et fondé une école ? Ou plutôt ne pourrait-on pas dire du machiavélisme ce qu’il est permis de dire du positivisme, par exemple : qu’à y regarder de près, et quelque prétention qu’il en ait, c’est moins une doctrine qu’une méthode ? Ainsi, — et avec combien plus de raison ! — du machiavélisme, qui est une espèce de positivisme, un réalisme appliqué étroitement et exclusivement à la politique. Machiavel « maximise » volontiers, il a systématise » peu. Jamais auteur ne fut, en dépit des ardeurs de son imagination, plus « objectif, » plus observateur, plus « enregistreur » que l’auteur du Prince et des Discours sur Tite-Live. Il n’a pas plus créé les facteurs de sa politique que le mathématicien ne crée les