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avec un peu d’embarras et de honte d’avoir montré tant de craintes. On a entendu alors des discours qui rappelaient un peu ceux de Panurge après la tempête. Personne ne voulait plus avoir eu peur. Le danger était passé : y avait-il eu même du danger ? S’il y en a eu, le gouvernement y avait fait face, et ce gouvernement, si indécis, si hésitant et si faible, est apparu à ceux qui le voyaient de loin, précisément comme doué des qualités les plus contraires à ses défauts. Encore un trompe-l’œil qui n’a pas laissé d’influencer les élections.

Pour conclure sur celles-ci, il faut bien reconnaître que toutes les vexations et les hontes de ces dernières années n’ont pas produit sur le pays l’impression profonde que beaucoup de personnes avaient espérée. Le suffrage universel a d’excellens, mais aussi de très mauvais côtés. Il a du bon sens, du sang-froid, une juste intelligence des intérêts purement matériels, au moins quand il les regarde de près ; mais il est plus insensible qu’il ne faudrait à certains intérêts moraux qui touchent vivement la partie la plus éclairée de notre société, et les conséquences un peu lointaines des fautes qu’il voit commettre lui échappent à peu près complètement. Ce sont là des conditions politiques différentes de celles auxquelles un long passé nous avait habitués, et, certes, elles sont pénibles et douloureuses. Mais, sans renoncer à aucune des causes qui nous tiennent au cœur, et tout au contraire pour les sauver du naufrage qui engloutit tant de choses autour de nous, il faut prendre le monde actuel comme il est et y adapter nos moyens d’action. Il faut comprendre qu’il y a des positions stratégiques devenues aujourd’hui indéfendables, en chercher, en trouver d’autres pour y transporter et y défendre ses dieux lares. N’est-ce pas la leçon des élections ? Nous souhaitons qu’elle soit comprise de tous, et que chacun désormais mesure mieux ses entreprises à ses forces réelles. Il est triste de dire que les illusions, même les plus généreuses, se paient quelquefois plus cher que les fautes, même les plus coupables : mais ce n’est pas nous qui le disons, c’est le scrutin du 6 mai.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-Gérant,

F. BRUNETIERE.