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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




12 mai.


On s’était fait beaucoup d’illusions sur les élections du mai. On croyait généralement, et cette croyance avait même pris dans les derniers temps un caractère quasi officiel, que le Bloc, — nous l’appelons par son nom, — perdrait un certain nombre de sièges. Les uns disaient un peu plus, les autres un peu moins, mais sur le fait lui-même tout le monde était d’accord, et le gouvernement n’y contredisait pas. Espérances et appréhensions ont été dissipées par l’événement. Le lendemain du 6 mai, les radicaux et les socialistes, forts inquiets encore la veille, ont poussé bruyamment des cris de victoire. Ils y ont mis de l’exagération, car leur victoire n’a été ni aussi grande, ni aussi décisive, ni surtout aussi définitive qu’ils le disent. On peut même mesurer à l’intensité de leur joie, celle des craintes qu’ils ont éprouvées et dont ils se dégagent aujourd’hui en passant de l’inquiétude à l’arrogance. Mais ils sont vainqueurs, nous n’avons garde de le contester. Au lieu de diminuer, leurs forces se sont légèrement accrues, et ils ont le droit de dire que le pays est avec eux : peut-être, cependant, feront-ils bien de ne pas trop le croire. Quelques jours avant le vote, M. Clemenceau est allé à Lyon prononcer un discours dont quelques parties méritent d’être retenues : ce sont peut-être celles qu’il oubliera lui-même le plus volontiers. « Il faut le confesser ingénument, disait-il, voix du peuple, voix de Dieu n’ont pas été sans se tromper quelquefois. Elles se tromperont souvent encore. Par son vote de demain, le suffrage universel, incertain, mobile, toujours changeant, prendra des décisions d’un jour que rectifiera l’avenir. » C’est bien sur quoi nous comptons. L’avenir sera à celui qui saura le mieux le préparer : quant au présent, il appartient à M. Clemenceau et à ses amis.