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une copie du traité, jusqu’alors tenu secret. En possession de ce texte si important, il l’adresse d’une part au gouvernement français et, de l’autre, il en communique un extrait à la presse américaine, sans lui indiquer la source de ce document. Dans toute l’Amérique l’émotion est des plus vives. Adet s’en autorise pour aller demander des explications au secrétaire des Affaires étrangères, Randolph, qui lui déclare que le traité ne renferme aucune stipulation contraire à l’intérêt de la France, en ajoutant que, pour le prouver, il demanderait au Président de l’autoriser à lui en communiquer la teneur : « Et que m’importe aujourd’hui, monsieur, réplique Adet, puisque le traité est ratifié ? — Non, monsieur, répond Randolph. Le Sénat, en donnant son avis, a approuvé le traité ; mais le président seul a le droit de le ratifier. »

Washington ayant consenti à la communication demandée, Adet, non content de présenter des observations sur les articles qui lui paraissent blesser les droits de la France, informe indirectement le ministre d’Espagne a que le traité des États-Unis avec la Grande-Bretagne est une insulte à son pays, puisque l’Angleterre dispose de Mississipi comme d’une de ses propriétés. » En même temps il ne néglige aucun moyen d’attiser l’irritation populaire déjà très vive.

« Le peuple, écrit-il, le 6 juillet 1795, est loin d’avoir sur le traité avec l’Angleterre la même opinion que la majorité du Sénat. Le mécontentement se manifeste de toutes parts. Le 4 juillet, anniversaire de l’indépendance américaine, en a fourni des preuves non équivoques. Jay a été brûlé ici par les charpentiers des vaisseaux ; il était représenté tenant une balance dans sa main droite ; sur le plateau qui était le plus léger était écrit : Liberté et Indépendance de l’Amérique ; sur le plus pesant on lisait : Or de l’Angleterre ; dans sa main gauche, il portait le traité, et de sa bouche sortaient ces paroles : Payez-moi ce que je demande et je vous vendrai mon pays. En vain le maire de Philadelphie, en vain les négocians qui employaient ces charpentiers ont fait tous leurs efforts pour empêcher cette exécution populaire, rien n’a pu changer leur détermination ; en vain le commandant d’une compagnie de dragons, toute dévouée au parti anglais, a-t-il voulu rassembler sa troupe pour s’opposer au mouvement ; dix cavaliers seulement ont obéi à ses ordres ; arrivés au lieu de rassemblement, ils ont voulu le dissiper, mais ils ont été repoussés à coups de pierre,