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vraiment solide des alliances entre les nations, le souvenir des services antérieurement rendus par l’une à l’autre s’effaçant d’autant moins que l’on s’abstient de l’évoquer à tout propos, surtout si, par leur importance, ces services restent inoubliables.

Lorsque le gouvernement de Louis XVI, après avoir longtemps hésité devant une question singulièrement complexe, se décida à soutenir, contre la Grande-Bretagne, la cause des colonies américaines, on vit, ce jour-là, se réaliser un intime accord entre le vœu de l’opinion et les vues de la diplomatie française. Lafayette, Noailles, Ségur et leurs compagnons avaient, en quelque sorte, été, de l’autre côté de l’Océan, les chevaleresques ambassadeurs de la première ; Vergennes fut l’agent, habile et heureux, de la seconde, qui, avec une rare persévérance, avait préparé l’exécution de ce projet par elle dès longtemps conçu.

Peu de temps avant son renvoi, Choiseul avait écrit « que la mer était le seul champ de bataille propice contre l’Angleterre. » Vergennes, son continuateur, s’inspira de cette pensée. Pour prouver que le gouvernement de Louis XVI, en soutenant, au lendemain de la Déclaration des droits, la cause de l’indépendance des États-Unis, avait commis une grave erreur, on a invoqué ces paroles d’un célèbre pamphlet, paru à Londres vers cette époque : « Vous armez, monarque imprudent ; il est une puissance qui s’élève au-dessus des lois, c’est celle des raisonnemens ambitieux ; elle conduit une révolution en Amérique. Peut-être en prépare-t-elle une en France. Les législateurs de l’Amérique s’annoncent en disciples des philosophes français ; ils exécutent ce que ceux-ci ont rêvé... D’où vous vient cette sécurité, quand on brise en Amérique la statue du roi de la Grande-Bretagne, quand on voue son nom à l’outrage ? L’Angleterre ne sera que trop vengée de vos desseins hostiles, quand votre gouvernement sera examiné, jugé, condamné, d’après des principes qu’on professe à Philadelphie et qu’on applaudit dans votre capitale. »

Cette sorte de prophétie, dont l’avenir devait faire une sanglante réalité, était conforme à la logique ; à l’heure où elle parut, elle était en contradiction avec la vérité. Quand le successeur de Louis XV résolut de prendre en main la défense des colonies anglaises révoltées, il ne céda pas seulement à l’opinion. S’il reçut d’elle un encouragement et une aide, il exécuta avant tout un projet politique, né des désastres de la guerre de Sept-Ans. A l’antique rivalité de la France et de la maison d’Autriche, déchue de son