la succession. Or, depuis que j’étais sorti de la fièvre politique de mes jeunes années, je ne croyais plus la République la source de tout bien, la Monarchie celle de tout mal. Une république sagement organisée, respectant les conditions permanentes de l’ordre social, ce qu’on appelle les lois traditionnelles, libérale sans devenir anarchique, amie du peuple sans verser dans la démagogie, serait la forme la plus belle et la plus honorable pour la dignité de l’espèce humaine. Mais pouvait-on espérer un tel bienfait ? De tout temps il y a eu parmi les républicains, des hommes de haute valeur morale, des esprits élevés, éclairés, distingués, capables de diriger les affaires publiques aussi bien que ceux qui les en tenaient éloignés. Mais parmi eux il y avait aussi beaucoup trop d’ignorans, de violens, de grossiers, d’incapables. Même les meilleurs étaient imbus d’idées fausses sur les principaux problèmes de l’organisation sociale et politique : impôt, relations de l’Église et de l’État, rapports du capital et du travail. Assagis par l’exercice du pouvoir, peut-être renonceraient-ils à leurs erreurs ; réussiraient-ils à assagir également et à redresser dans l’esprit du peuple tant d’idées fausses qu’ils lui avaient si longtemps enseignées ? Et s’ils en avaient le courage, auraient-ils les moyens de contenir et au besoin de réprimer les extravagances auxquelles ils avaient renoncé et d’empêcher leur république de dégénérer en une démagogie imbécile, mélange d’oppression, d’anarchie et de barbarie ? Je n’y comptais pas.
En 1848 avait surgi du sol bouleversé un torrent impétueux qui, à ses ondes salubres, mêlait de la boue, des détritus, des pierres. Napoléon III s’était établi comme une digue de granit, à la fois obstacle et filtre, qui ne laissait passer que les ondes salubres. Travailler à détruire cette digue c’était permettre aux boues, aux détritus aux pierres d’envahir et de ravager les plaines. J’avais trop présent en moi le spectre répugnant qui m’était apparu en 1848, derrière les barricades de juin, pour prendre ma part d’une si redoutable témérité. J’aimais trop la liberté pour contribuer en quoi que ce fût à en confier le sort à un jacobinisme ignare. Chacune de nos dynasties a eu sa mission historique : les Capétiens ont constitué l’individualité de la France, les Bourbons sa grandeur territoriale ; aux Napoléon il était réservé d’être à la fois les éducateurs, les patrons, les dompteurs de la démocratie. Eux seuls avaient la force, en ne refusant aucune satisfaction légitime,