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profit. Au lieu de penser à renverser le gouvernement, elles s’appliquèrent avec son aide, à amoindrir les difficultés de leur existence. Peu à peu, devenues indifférentes à l’idée de République, elles reléguaient les questions purement politiques au deuxième rang : comme les premiers chrétiens, elles étaient disposées à rendre à César ce qui était à César. Delescluze et Blanqui comprirent le péril. « Si par impossible, vous réussissiez à rendre l’ouvrier heureux, disait un des centurions blanquistes à l’ouvrier Fribourg, la révolution n’arriverait jamais, et nous voulons avoir la révolution. » La loi des coalitions avait accru leur alarme. Ils en firent un instrument de troubles en suscitant systématiquement des grèves partout. Le mouvement des associations coopératives et surtout la création de l’Internationale leur donna de nouveaux soucis. Le groupe d’ouvriers honnêtes et distingués qui fonda cette association devint l’objet d’une persécution telle qu’il avait été obligé de capituler. Ces ouvriers, au congrès de Lausanne et de Genève, en septembre 1867, s’étaient fait révolutionnaires, et prouvèrent leur conversion en s’associant, après Mentana, aux manifestations de la rue (2 et 4 novembre),

Delescluze et Blanqui s’inquiétaient non moins de la disposition témoignée par une partie de la bourgeoisie à se réconcilier avec l’Empire, si celui-ci accordait des satisfactions libérales. Sans doute une révolution ne peut s’opérer si le peuple n’est prêt à l’aider de ses bras, mais elle est tout à fait impossible si la bourgeoisie ne la seconde de ses vœux et de son assistance, et si d’en haut elle ne tend pour la soulever, sa main à la multitude. L’Empire libéral était donc pour Delescluze l’abomination de l’abomination ; il s’employa à démolir les deux hommes qui dans la presse et à la tribune en étaient le symbole : Émile Ollivier et Émile de Girardin. Il n’est pas d’outrages, de diffamations qu’il ne leur prodiguât.

Il cherchait le moyen d’éloigner de l’Empire même libéral, la bourgeoisie, comme il avait écarté l’Internationale de l’Empire même socialiste. Il le trouva. Ténot venait de rappeler qu’en 1851, un représentant du peuple nommé Baudin s’était fait tuer. Son récit, malgré son hostilité, était conforme à la vérité[1]. « Les soldats repoussaient les représentans. L’un d’eux lança un coup de baïonnette à un de ces représentans, M. Schœlcher, pour l’éloigner plutôt que pour le percer, a dit M. Schœlcher lui-même. Malheureusement,

  1. J’ai donné le même récit dans l’Empire libéral, t. II, p. 475.