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quelque peu amusé. On s’est demandé s’il avait vraiment valu la peine que M. le ministre de l’intérieur quittât Paris pour aller apprendre à Lens ce qu’il y a appris. Cependant, il a mis fin lui-même à son enquête en disant brusquement : « C’est bien ; je sais ce que je voulais savoir. » Que savait-il donc ? Le voici. M. Clémenceau, est entré chez deux ouvriers qu’il a pris à l’improviste au saut du lit. Sa conversation avec le premier a été typique ; il aurait pu, sans doute, l’avoir avec beaucoup d’autres. « Parlez-moi cordialement, sans embarras, et en toute franchise, a dit le ministre : que pensez-vous de la grève ? — Je n’en pense rien du tout, a répondu l’ouvrier : on m’a dit de me mettre en grève, je l’ai fait parce que les autres le faisaient aussi. Si on reprenait le travail je le reprendrais avec plaisir. — Vous êtes donc satisfait, a continué le ministre, des concessions faites par les compagnies ? — J’aimerais mieux davantage, a dit l’ouvrier, mais il y a des momens où il faut se contenter de ce qu’on vous donne, quitte à recommencer une autre fois. — Alors, vous seriez heureux de reprendre le travail ? — Ma foi, oui. » Combien d’ouvriers pensent comme celui-là ! Combien reprendraient le travail, si on les laissait libres de le faire ! Mais on ne les en laisse pas libres. Ils reçoivent un mot d’ordre, sans bien savoir quelquefois d’où il vient, et ils obéissent, se résignant à subir des privations qu’ils imposent aussi à leurs familles, jusqu’au jour où un autre mot d’ordre les rend à eux-mêmes, c’est-à-dire au travail. Cependant tout le monde n’est pas du même avis. Après avoir interrogé ce premier ouvrier, M. Clémenceau est passé à un second qui, lui, était partisan de continuer la grève jusqu’au moment où les compagnies auraient accepté toutes les revendications des ouvriers. Il a expliqué le mécanisme du salaire de base et des primes. Le tout serait suffisant, peut-être, s’il n’y avait pas des retenues pour amendes ou frais d’outils détériorés. L’ouvrier a protesté amèrement contre ces retenues. Enfin il n’a pas caché au ministre qu’il se faisait vieux, qu’il ne pouvait plus travailler autant qu’autrefois, et qu’il entendait néanmoins gagner davantage : c’est pour cela qu’il voudrait un salaire unifié qui comprendrait le salaire de base et la prime. M. Clémenceau a paru ébloui de ces clartés et a jugé absolument inutile d’en chercher d’autres, au moins du côté des ouvriers. « Maintenant, a-t-il dit, je vais voir vos patrons. » Sa conversation avec ces derniers n’a pas été reproduite d’une manière aussi complète. S’il nous est permis de faire une hypothèse, il est probable que les représentans des patrons ont rappelé à M. Clémenceau qu’ils avaient accepté de faire les concessions que leur avait conseillées M. Sarrien, et peut-être lui ont-ils demandé s’il s’engageait, dans le cas où ils en consentiraient d’autres, celles