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des patrons. En fin de compte, il a demandé à ces derniers des concession » nouvelles, très onéreuses pour eux, mais qui lui semblaient acceptables et, en tout cas, nécessaires à l’apaisement. Les compagnies se sont résignées. Elles ont fait savoir par écrit à M. le président du conseil qu’elles feraient les concessions qu’il leur avait conseillées. Tout le monde a cru à ce moment que la grève allait finir ; mais quand on a vu qu’elle ne finissait pas, que les ouvriers méconnaissaient l’autorité du gouvernement et déclaraient insuffisantes, les offres qu’on leur faisait, on a compris une fois de plus, et plus clairement que jamais, qu’on était en présence d’une émeute plutôt que d’une grève, et que la force seule pourrait y mettre bon ordre. Quand nous disons qu’on l’a compris, nous parlons de l’opinion : le gouvernement, lui, n’a rien compris du tout. Il a persévéré dans son inertie. Si les troupes ont été renforcées, elles l’ont été petitement et surtout secrètement. Personne n’en a rien su, personne n’en a rien vu. Ne fallait-il pas continuer de ménager la délicatesse des grévistes qui entraient en fureur lorsqu’ils apercevaient un soldat ?

Ce qui devait arriver est arrivé. Quand les révolutionnaires ont eu organisé leurs forces, ils sont entrés en campagne, et il n’a pas tenu à eux qu’ils ne renouvellassent les exploits de Fressenneville. Pendant plusieurs heures, Lens a été en proie à une invasion de sauvages. Le marché a été mis au pillage. Plusieurs maisons ont été saccagées. Les émeutiers se sont précipités sur celle du directeur des mines, M. Reumaux, homme distingué et bienveillant dont tout le monde s’accorde à dire du bien. Mais il était directeur, partant ennemi. Il était absent, ce qui a été peut-être un bonheur pour lui. Mme Reumaux, seule à la maison, a dû s’enfuir à la hâte par une porte de derrière : sa fuite l’a sauvée des plus grands dangers. Cette fois, il a bien fallu montrer les troupes. Elles étaient commandées à Lens par le lieutenant-colonel Schwartz, qui a fait preuve d’un admirable sang-froid et grâce auquel on a échappé à de plus grands malheurs : mais on a eu à en déplorer déjà de bien graves. Les pierres, les briques, les boulons de fer, pleuvaient sur la troupe. Plusieurs soldats et deux officiers sont tombés, un de ces derniers, hélas ! pour ne plus se relever. C’est le lieutenant Lautour qui a été emporté sanglant, le crâne fracturé, et qui n’a pas tardé à expirer. Il était marié et père de deux jeunes enfants. Comment ne pas éprouver une pitié profonde en présence d’un pareil malheur ? Un jeune homme entre dans l’armée, plein de générosité et de dévouement ; il a rêvé de consacrer sa vie à son pays, et s’il faut la perdre, de le faire sur un champ de bataille où il succombera avec gloire sous les balles de l’étranger ; et il vient expirer misérablement dans une