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Nous avons protesté tout de suite contre cette façon nouvelle d’assurer le maintien de l’ordre. Nous étions convaincus que, loin de cacher, de dissimuler l’armée, il fallait la montrer, et que si elle était assez nombreuse et assez forte, les grévistes se tiendraient pour avertis qu’ils n’avaient pas le droit de tout faire. C’est ainsi qu’on procédait autrefois : il n’était même pas nécessaire de remonter bien haut pour en trouver des exemples. Sous le ministère Waldeck-Rousseau, M. Millerand étant ministre du Commerce, le meilleur moyen de conjurer les désordres, toujours à craindre dans les grèves, avait paru de faire un grand déploiement de forces militaires : et le moyen avait réussi. Les journaux socialistes avaient bien quelque peu murmuré ; ils n’avaient pas osé crier trop haut, car ils respectaient et ménageaient le ministère Waldeck-Rousseau, com.me ils ménagent, sans le respecter, le ministère Sarrien ; enfin dans le secret de leur conscience, ils n’étaient pas fâchés que le gouvernement, par son énergie apparente, leur épargnât des épreuves plus graves et plus embarrassantes. L’opinion générale avait approuvé cette manière de faire. Mais le ministère actuel pouvait-il se borner à imiter ses devanciers ? Ne devait-il pas plutôt prendre le contre-pied de ce qu’ils avaient fait ?

M. Clémenceau, nous l’avons dit, se pique d’originalité et il a donné pour instructions : peu de troupes, le moins possible, et surtout qu’on ne les voie pas ! Pendant quelques jours la situation est restée telle quelle : on était encore sous le coup de l’arrestation du citoyen Broutchoux. Le parti révolutionnaire, atteint à la tête, travaillait à se reformer, mais il n’était pas encore prêt pour l’action. L’opinion, trompée par les apparences, a pu croire à une détente, et le gouvernement en a profité pour s’interposer entre les grévistes et les patrons. M. Sarrien a joué spontanément le rôle d’arbitre ; il n’en avait été chargé par personne, il s’en était chargé lui-même  ; mais il fallait souhaiter que son initiative fût couronnée de succès. Elle ne l’a pas été. Les journaux socialistes disent aujourd’hui : — Quoi de plus simple ? Les compagnies minières n’ont qu’à céder sur toute la ligne : si elles concèdent aux grévistes toutes leurs revendications, le mouvement s’arrêtera tout de suite. — C’est ce dont nous ne sommes pas bien sûrs, car le mouvement, nous l’avons dit, est plus révolutionnaire qu’économique, et ceux qui y poussent ne s’arrêteront devant aucune concession. Ils inventeront toujours des revendications nouvelles. Mais, pour revenir à M. Sarrien, nous devons croire que s’il a assumé le rôle d’arbitre, il ne l’a pas fait à la légère. Il a étudié la situation de l’industrie minière. Il a cherché à démêler ce qu’il y avait de légitime dans les demandes des ouvriers, et aussi dans la résistance