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un ministre animé sans doute de bonnes intentions ; — tous les ministres sont animés de bonnes intentions ; à peine arrivés au pouvoir ils désirent sincèrement que tout le monde soit heureux et satisfait comme ils le sont eux-mêmes ; — mais le ministre, cette fois, avait des illusions plus grandes encore que ses intentions n’étaient bonnes. Il a cru pouvoir dire comme César : « Veni, vidi, vici ; je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu. » Il est venu, en effet, sur les lieux, mais il en est reparti presque aussitôt sans avoir pris le temps de rien voir et assurément il n’a pas vaincu. Nous parlons de son premier voyage, car il en a fait depuis un second qui n’a pas eu de meilleures suites. C’est au comité du citoyen Broutchoux, à. Lens, qu’il s’est adressé : le lendemain, Broutchoux et sa bande ont essayé de s’emparer de l’hôtel de ville. Nous avons déjà raconté ces incidens. Broutchoux a été arrêté, condamné, emprisonné, et ces mesures ont eu un effet immédiat, mais malheureusement provisoire, beaucoup plus efficace que l’éloquence de M. Clémenceau. On a eu quelques jours de répit dont on aurait pu profiter, après avoir reconnu le caractère révolutionnaire de l’événement, pour prendre les dispositions que les circonstances exigeaient. M. Basly lui-même ne cessait de répéter, dans ses discours et dans ses manifestes, que des gens venus du dehors s’étaient abattus sur la contrée et essayaient d’y faire la loi. C’étaient des inconnus, sans aveu, qui n’avaient jamais travaillé dans les mines, d’étranges représentans des revendications des ouvriers. Naturellement, M. Basly n’hésitait pas à accuser la réaction de les avoir envoyés : il ne le croyait certainement pas, mais il pensait que c’était le meilleur moyen de les rendre suspects aux ouvriers et de les vouer à la déconsidération. Nous connaissons, nous aussi, cette espèce d’hommes : on les a vus apparaître, dans tout le cours de notre histoire, à l’origine des émeutes qu’ils cherchaient à faire tourner en révolution. Le milieu ouvrier du Nord et du Pas-de-Calais était favorable à leurs entreprises : ils sont accourus sans avoir eu besoin d’être envoyés par personne. Dès le premier jour, ils se sont mis à l’œuvre, et ils ont continué depuis, sans rencontrer pendant longtemps d’autre obstacle que les anathèmes de M. Basly et les discours de M. Clémenceau. Il n’y avait pas là de quoi les arrêter.

La confiance du gouvernement en lui-même, c’est-à-dire dans les bons conseils qu’il avait donnés, était si grande qu’il n’a pas cru avoir besoin de mettre des soldats à côté et à l’appui de ses paroles. Nous avons déjà dit que M. Clémenceau avait caché les troupes, très insuffisantes, qu’il avait fait venir sur les lieux. Il ne fallait pas que les grévistes vissent les soldats : cette vue les aurait poussés aux derniers excès.