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les vastes généralisations et les grands partis pris d’autrefois, la symphonie s’éparpille et s’émiette chaque jour davantage, La polyphonie instrumentale va tomber dans l’excès, pour ne pas dire dans la folie où s’égara, vers la fin du XVe siècle, la polyphonie des voix. Il est temps qu’elle se ressaisisse et se rassemble, et que le génie d’un grand homme simple vienne, sinon réduire, au moins rappeler au principe individuel, une puissance trop répandue et qui se perd, à force de se distribuer.

Puisse-t-il aussi, le maître que nous attendons, rendre à la musique la sensibilité qui paraît se retirer d’elle ! Une symphonie comme celle de M. Richard Strauss est la production d’une intelligence, d’un cerveau de musicien peut-être sans pareil aujourd’hui. Mais qu’elle est donc peu l’inspiration d’un cœur ! A peine si quelque trait pathétique, émouvant, traverse par endroits cette épure sonore. Oui, sans doute, Archimède « éclate aux esprits, » mais Archimède était un savant. Il n’y a de grand artiste que celui qui, non moins qu’aux esprits, peut-être plus encore, éclate aux âmes. En architecture même, pour la coupole de Saint-Pierre, un Michel-Ange a su trouver une courbe de sentiment ou d’amour.

Enfin, s’il est vrai que l’art en général et particulièrement la musique ne doit pas être un plaisir trop facile, et vulgaire, il ne faudrait pas non plus qu’elle devînt un plaisir d’initiés et de professionnels et, pour ceux-là même, un trop difficile et trop austère plaisir. Hélas ! elle s’achemine de plus en plus vers ce genre de beauté réservée et laborieuse. « Travaillez, prenez de la peine. » Il est trop vrai que, dans la musique aujourd’hui, « c’est le fonds qui manque le moins. »


CAMILLE BELLAIGUE.