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concessions considérables qui, à un autre moment, auraient à coup sûr amené la conciliation. Depuis, elles sont allées plus loin encore. Elles l’ont fait à la demande du gouvernement, c’est-à-dire sur une lettre de M. le Président du Conseil qui, moyennant un certain nombre de concessions qu’il prenait la peine d’énumérer lui-même, semblait se faire fort d’obtenir des ouvriers la reprise du travail. Les compagnies ont fait les concessions qu’on leur demandait : qu’en est-il résulté ? Un nouveau référendum, dont le résultat a été le même que celui du premier : la continuation de la grève a été votée.

L’exaltation des esprits que ces votes successifs manifestent tient à des causes diverses. La première en date est l’émotion, bien naturelle assurément, qu’a produite le désastre de Courrières. Si le monde entier a frémi de douleur et de pitié en apprenant la sinistre nouvelle, les ouvriers mineurs de toute la région ont éprouvé ces sentimens avec plus de violence encore : c’étaient leurs camarades qui avaient péri, et ils avaient sous leurs yeux des veuves et des orphelins. Il faut faire la part de ce qu’il y a eu de légitime dans les impressions de ces malheureux, et nous la faisons très large ; mais M. Basly a dénoncé lui-même comme odieuse la manière dont le désastre a été exploité pour exciter outre mesure les passions et les colères, et il nous sera permis de faire comme lui. On connaît la suite des événemens, et comment l’abîme où elles semblaient ensevelies pour toujours a rendu à la lumière et à la vie quelques-unes des victimes. A l’immense joie que nous en avons ressentie, d’autres sentimens se sont mêlés chez les ouvriers. Parce qu’ils n’avaient pas trouvé tout de suite les survivans, les ingénieurs ont été accusés de ne les avoir pas bien cherchés, ou même de ne les avoir pas cherchés du tout, d’avoir mieux aimé sauver la mine que les mineurs et d’avoir impitoyablement sacrifié les seconds à la première. Le mot d’assassins est venu sur beaucoup de lèvres. M. Basly a annoncé une interpellation et M. le ministre des Travaux publics s’est rendu sur les lieux. Il a pu constater de grands malheurs, rien de plus : quant aux responsabilités, personne n’était en mesure de dire où elles étaient et même s’il y en avait. L’interpellation a eu lieu. M. Basly ne demandait rien moins que des poursuites judiciaires et la déchéance de la compagnie. C’était aller bien vite : M. Barthou n’a pas eu de peine à le démontrer. Il a impartialement réfuté une partie au moins des allégations téméraires qui avaient été apportées à la tribune. Que fallait-il faire avant tout ? Une enquête technique, dirigée par des hommes dont on ne pourrait contester ni la compétence, ni