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notre histoire, de nos mœurs, ou de notre littérature, de n’importe quelle chose française, à l’exception de notre art, — qu’il goûte et qu’il admire, au contraire, avec un discernement singulier, — le ton qu’il y emploie est celui d’un homme qui nous déteste, et qui trouve un plaisir exquis à nous rabaisser. Rendant compte des impressions de voyage en Angleterre d’un sot et grossier naturaliste allemand, il pardonne à celui-ci toute l’ineptie de ses divagations, simplement parce que le voyageur « hait les Français de toute son âme, avec le mépris le plus absolu pour leur vantardise, leur bavardage, leurs absurdes prétentions à tenir la tête de la civilisation. » Et il ajoute : « Ces opinions sur les mœurs françaises n’auront peut-être pas le bonheur de plaire à M. Victor Hugo, ni à d’autres génies parisiens ; mais peut-être est-ce encore un motif pour que, en notre qualité d’Anglais, nous ne puissions nous empêcher de nous sentir en sympathie avec l’honnête et jovial Naturforscher. » Sa prose, d’ordinaire assez calme dans ces articles sur commande, s’échauffe, s’exalte, et devient presque lyrique, toutes les fois qu’il s’imagine avoir découvert un nouvel indice de notre « humiliation, » de la persistance des blessures causées par le génie politique anglais à l’amour-propre d’un peuple « adroit, galant, vain, impérieux, et VAINCU (of a clever, gallant, vain, domineering, defeated people). Avec quelle ironie ardente, triomphante, digne de son maître Swift, il raille, à propos de la condamnation du notaire Peytel, l’inintelligence et la barbarie de la justice française ! Comme il est heureux quand un fait-divers lui permet d’incarner toutes les qualités intellectuelles et morales de la race française, telle qu’il la conçoit, sa politesse, sa verve, son humeur serviable, dans la figure savoureuse d’un escroc ou d’une aventurière ! Ah ! les éditeurs Chapman et Hall ne se sont pas trompés, en lui confiant la tâche de « donner un intérêt anglais à l’étude des sujets français. » Qu’on lise, par exemple, les observations que lui suggère la peinture d’un bal, dans les Lettres parisiennes de Mme de Girardin.


Les jolies femmes des autres pays ne peuvent que perdre à vouloir s’orner, lorsqu’elles vont au bal ; mais l’ornement est indispensable à la beauté parisienne, naturellement maigre, jaune, anguleuse. Ses charmes, à elle, requièrent toute l’assistance que peut offrir l’artifice, tandis que ceux de ses rivales sont encore rehaussés par la simplicité… Si la comparaison n’était par trop dépourvue de romantisme, nous serions tenté d’apercevoir une analogie entre la beauté et la cuisine, dans les deux pays. Pourquoi les Français ont-ils recours à des sauces, des ragoûts, et autres déguisemens culinaires ? pourquoi, sinon parce que leur viande est mauvaise ? Et