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sa conscience, toute sa sincérité habituelles : mais nous sentons qu’il n’y met plus rien de son cœur. Ses articles, avec les longues citations et traductions dont ils sont remplis, presque toujours nous font l’effet de besognes entreprises, sans plaisir, par un auteur qui sera heureux, après elles, de pouvoir se donner à de tout autres sujets. Et si la publication de ces articles, assurément, ne risque pas de nuire à la mémoire du Balzac anglais, je n’imagine pas qu’elle ait chance, non plus, de la servir en rien.


Tout au plus permettra-t-elle aux futurs biographes de mieux apprécier la connaissance qu’avait Thackeray des choses françaises : car cette connaissance se révèle à nous plus ouvertement dans des études purement critiques, du genre de celles-là, que dans les récits et les discussions fantaisistes du premier Livre d’Esquisses. Et cette connaissance était, comme je l’ai dit déjà, très étendue, sinon très profonde. Elle s’arrêtait, il est vrai, à l’œuvre des poètes, mais c’est décidément une loi absolue que tout homme, quelque intelligent et quelque instruit qu’il soit, ne puisse jamais comprendre les poètes que dans une seule langue ; et si Thackeray ignore le génie de Lamartine et d’Alfred de Musset, s’il préfère Béranger à Victor Hugo, il ne faut pas oublier que le plus « parisien » des poètes étrangers du XIXe siècle, Henri Heine, a toujours méconnu nos poètes de la même façon. S’étonnera-t-on que Thackeray ait, aussi, méconnu Balzac, et lui ait préféré de beaucoup George Sand ? Il n’a fait que se conformer, en cela, au sentiment à peu près général des lettrés français de 1840 ; et ce n’est pas à Londres nia Heidelberg, mais à Paris, que, quarante ans plus tard, j’ai entendu des professeurs de Faculté proclamer l’immense supériorité littéraire de Valentine et de Mauprat sur les « feuilletons incohérens » de l’auteur du Cousin Pons. Peut-être y a-t-il, dans les créations de Balzac, quelque chose d’excessif et de tumultueux qui devait fatalement dérouter ses contemporains ; et lorsque Thackeray, parmi tous les romanciers français, n’en trouvait aucun qui lui plût autant que Charles de Bernard, peut-être était-ce un hommage qu’il rendait là, sans le savoir, à l’art de Balzac, réduit, tempéré, et mis à sa portée par un imitateur élégant et discret ?

Pour tout le reste des écrivains français en vogue vers le milieu du règne de Louis-Philippe, les jugemens de Thackeray gardent, aujourd’hui encore, toute leur valeur. Rien de plus sage, par exemple, que les opinions qu’il énonce sur les romans d’Eugène Sue et de Frédéric Soulié, sur les drames et les comédies d’Alexandre Dumas. « Voilà,