Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/936

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que la famille doit au bonhomme dont elle a fait sa pleurarde victime une réparation : elle réparera. Ah ! on a séparé Bourneron de Madeleine ! Ah ! cette Madeleine a filé sans laisser son adresse ! Elle retrouvera Madeleine, elle saura l’attendrir ; elle lui parlera de femme à femme ; elle la chapitrera, elle lui fera de la morale. Elle a désormais une mission dans la vie : rendre une maîtresse à son père ! Elle fait comme elle l’a promis ; elle retrouve Madeleine ; elle a une entrevue avec elle ; et nous assistons à un genre de supplications, un peu exceptionnel tout de même, et passablement roide. Car Madeleine se fait prier, et les difficultés qu’apporte cette pécheresse à un pacte qui concilie ses intérêts avec ses sentimens sont assez surprenantes. Au reste, et du seul point de vue du métier, un des plus graves défauts de l’ouvrage est l’espèce de vague qui plane sur ce personnage de Madeleine. Car n’est-ce qu’une jeune veuve dont la conduite est un peu légère, et le passé un peu encombré ? On ne comprend pas alors l’émoi de toute la famille, et cette grande conjuration contre une personne qui embellissait le soir de la morne vie de Bourneron. Ou bien est-ce une vulgaire gourgandine ? Et alors on ne comprend pas qu’elle soit si avare de faveurs auxquelles on met le prix. Toujours est-il qu’en dépit des efforts d’Émilienne et de son obligeante intervention, la félicité du vieil homme est une félicité gâchée.

Ce rôle de fille complaisante étant, malgré tout, difficile à admettre, l’auteur a fait effort pour l’expliquer. D’abord Émilienne a toujours été l’enfant préférée, celle à qui on a passé toutes ses fantaisies : à son tour de gâter son papa. Ensuite elle a, elle-même, beaucoup à se faire pardonner. Car elle a un amant ; et si le père, en puissance de maîtresse, manque d’autorité pour rappeler la fille au respect du devoir, la fille, de son côté, serait assez mal venue à se montrer intransigeante. M. Coolus a-t-il voulu donnera entendre que dans une famille les fautes des uns ont pour conséquence ou pour pendant les fautes des autres ? Je ne le crois pas. M. Coolus n’est pas un moraliste si austère. Mais il se cantonne volontiers dans la peinture d’un monde extrêmement spécial et d’une partie infinitésimale de la société qui porte un éclatant témoignage de notre actuelle déliquescence. C’est une étude de ce genre qu’il a prétendu faire ; il a voulu nous donner à admirer, dans un exemplaire brutal, un phénomène de désagrégation morale et une espèce de parodie du sentiment de la piété filiale. Que ce spectacle soit continuellement pénible, j’ai à peine besoin d’en faire la remarque. Que ce père et cette fille nous paraissent, chacun dans son rôle, également désobiigeans, cela va sans dire. Il