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de faiblesse, goûte le sombre bienfait de la nuit, du moment dont a parlé le poète, que prima quies mortalibus ægris

Après les deux figures endormies, étudions les autres : celles qui s’appliquent à de modestes besognes, mais surtout celle-ci, drapée de vert clair et de lilas pâle, qui, le coude aux genoux, appuyant son menton sur sa main, regarde droit devant elle, jusqu’au fond de l’avenir. Alors nous verrons, par une dégradation merveilleuse, la flamme qui rayonne au sommet de la voûte, se tempérer, sinon s’éteindre sur les bords, et l’action, la passion, là-haut à leur paroxysme, venir s’apaiser plus bas et comme se perdre dans la pensée pure et l’éternel repos.

Ce caractère, cette beauté contemplative achève d’unir l’une à l’autre la peinture et la musique sixtine. Autant que le lyrisme, sinon davantage, le mysticisme a sa part dans l’éthos de la musique alla Palestrina. Elle est peut-être moins, — comme d’autres musiques, — « une force qui va, » qu’une grâce, une suavité qui demeure. Elle agit et se meut souvent ; plus souvent encore elle prie, elle médite, elle adore. A ses élans, à ses éclats, il est permis de préférer ses extases : les Adoramus te de ses Gloria, les Incarnatus de ses Credo, tel Tantum ergo palestinien, ou certain motet de Victoria : O magnum mysterium, dont chaque note en effet semble pénétrer plus avant dans l’infini du mystère.

Ailleurs enfin je sais trois notes, oui, rien que trois, et des plus simples, qui m’ont paru toujours, entre toutes, étranges et profondes. Elles se trouvent dans un répons de Palestrina pour la Semaine sainte : « In monte Oliveti, » sur les paroles du Christ à ses disciples, dont il va s’éloigner un moment : « Vigilate et orate. (Veillez et priez.) »

Ces trois notes, encore une fois, n’ont rien d’extraordinaire. Trois voix, deux de soprano, une de contralto, les posent doucement et les tiennent longuement sur les trois degrés descendans de l’accord parfait. Que de choses pourtant elles expriment ! Un paysage d’abord, et le seul peut-être qu’ait jamais évoqué la musique de Palestrina. Gardiennes idéales, et plus vigilantes que ne furent ses amis de la terre, de l’agonisant divin, les trois voix se répondent dans le silence de la nuit. Mais ce n’est là que le sens pittoresque et tout extérieur de leur harmonieux concert. Elles en ont un autre, spirituel et symbolique. Dans leur consonance pure elles enveloppent tout l’ordre de la méditation et