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cardinaux commencèrent d’arriver, il s’en alla se coucher et dormit, selon sa coutume, pendant une heure ou deux. Enfin réveillé, il vint aux vêpres, qui furent célébrées dans la chapelle, more solito, dix-sept cardinaux y étant présens. Notre chapelle fut ouverte aujourd’hui pour la première fois avec ses peintures complètement achevées (pingi finita). Pendant trois ou quatre ans, sa voûte était demeurée cachée par l’échafaudage qui la couvrait en entier[1]. »

Ces deux jours-là surtout, on aimerait à savoir quelle musique entendirent les hôtes superbes de la voûte, écoutant pour la première fois.

Vingt-neuf ans après, d’autres encore venaient prendre place à leur tour. Le jour de Noël 1541, Paul III Farnèse étant pape, Michel-Ange découvrait le Jugement dernier, achevant ainsi de former le plus sublime auditoire pour lequel des voix humaines eussent jamais chanté.

Elles ont chanté près de quatre siècles entre ces murs, aujourd’hui silencieux depuis trente-cinq années. Elles ont chanté les grands mystères du christianisme et les grands événemens de l’histoire, les hauts faits de bien des vivans, et les mérites, reconnus et sanctifiés, de bien des morts. Elles ont chanté les vicissitudes de Rome, cette autre Jérusalem, sa gloire souvent, quelquefois sa misère et son veuvage, ses ruines et ses deuils. Tous les successeurs de l’Apôtre, tous les vicaires du Christ ont été salués par ces voix au jour de leur avènement, par elle pleurés en celui de leurs funérailles. En somme, — et ce fut là toute leur mission et leur éminente dignité, — pendant quatre cents ans, dans l’un des oratoires les plus augustes du monde, les voix sixtines ont prié.

Servantes de l’idéal religieux, elles le furent aussi d’un idéal esthétique. Par elles, une des grandes, et belles, et pures formes de l’Art, la polyphonie vocale, a régné souverainement ici. Ici des maîtres sans nombre ont passé, dont les chants, comme les paroles divines qu’ils traduisent, ne passeront point.

Cet art durable fut également un art fidèle : j’entends fidèle à soi-même, à sa nature, à son origine et à sa tradition. D’aucuns nous assurent, — sans nous en convaincre, — que la polyphonie vocale est morte, et qu’elle devait mourir d’elle-même. En tout

  1. Paris de Grassis, cité par Klaczko.