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la mesure, non seulement les êtres, mais les choses, et la matière même autant que l’humanité.

Pour la décoration de la Sixtine, la sculpture non plus ne s’est pas mise en frais. Elle a ciselé délicatement, dans le meilleur style du quattrocento florentin, la haute et fine balustrade aux minces pilastres, à l’architrave légère, qui divise la chapelle en deux parties inégales. Elle a suspendu au mur de droite l’exquise tribune des chanteurs. Mais ce ne sont là que des accessoires, ou des détails, et d’ornementation pure. Quant à la statuaire proprement dite, la peinture encore, la peinture d’un Michel-Ange, était de taille, en même temps que d’humeur, à prendre seule sa place. On sait comment elle l’a remplie.

Ainsi le domaine entier de l’idéal semble d’abord occupé, peut être usurpé ici par une catégorie, par un mode unique et jaloux de la beauté. Mais arrêtons nos regards sur la cantoria, sur ce petit balcon de marbre discrètement rehaussé d’or. Il porte les armoiries des Rovere, le chêne au feuillage épais, dont les éphèbes sublimes forment là-haut des guirlandes et qui sur la musique elle-même étendit autrefois ses rameaux.

Sixte IV (Francesco della Rovere), le créateur de la chapelle qui garde son nom, fut un pape musicien. C’est de son règne (1471-1484) que date le véritable et définitif essor de la maîtrise pontificale. Elle comprenait, en 1473, quatorze chanteurs. Cinq y furent adjoints en 1474 ; un autre, l’année suivante, porta leur nombre à vingt. Durant les treize années de son pontificat, Sixte IV ne publia pas moins de quatre bulles relatives et favorables à ses chantres. « Nostros familiares continuas commensales, » c’est ainsi qu’il les nomme, et leur état et leur faveur s’accrut en quelque sorte à mesure que s’élevait la nouvelle chapelle elle-même.

Le jour de l’Assomption 1483 vit l’inauguration de la Sixtine. Un tapis de couleur verte cachait entièrement le sol. Les murs, les bancs de marbre destinés au Sacré-Collège, tout était voilé d’une étoile de même nuance. Le Pape assistait à la cérémonie. Il avait ordonné qu’elle fût sans éclat, fort simple et presque intime. Un seul de ses cardinaux, le plus jeune, son neveu Raphaël Riario, l’accompagnait. Pour la première fois les mélodies, ou plutôt les harmonies sacrées s’élevèrent doucement vers la voûte, dont le ciel d’azur étoile devait attendre vingt-cinq ans encore les foudres de Michel-Ange.