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champs et sur les chemins. Dans le beau silence les minarets aux tons de turquoise semblent porter en eux plus d’humanité sensible que n’en ont les vivans eux-mêmes. Le temps qui fait ici si peu pour les hommes a fait ces minarets pareils à de vieilles pensées. Ils ont vu les siècles, ils savent l’histoire, que les générations oublieuses n’ont pas retenue. Sur les longs rectangles brodés en camaïeu, où se répètent les œils de paon, sont empreintes toutes les marques d’une longue vie, la trace du soleil, les douceurs fondues d’opales qu’ont laissées les longues pluies silencieuses suivies des sécheresses flamboyantes. Leurs tons éteints répètent ceux des oliviers, des aloès, les mêmes bleus verdis, ils sont devenus parties de la nature, ils semblent son vieux et précieux joyau, plus vivans qu’un joyau, car ils participent à la sensibilité, ils ont perçu en même temps qu’elle les variations du ciel, de la lumière et des étés. Le soir, ils ont la gloire éteinte et douce de la dernière lueur verdie au couchant. Sans eux la ville blanche, serrée dans sa gaine de pierre, serait pareille à un ossuaire où la mort égale a tout desséché et blanchi. Ils sont la relique du temps, la relique vivante chère à tout un peuple.

Inutile de descendre dans les souks, d’aller dans les froideurs de grottes épier les gestes de la ruche bourdonnante et l’interroger sur ce qu’elle ne nous dira pas. Ici, sur le rebord de la fontaine ; hier, du haut de nos terrasses, à chaque heure au cours de nos chevauchées, par toutes les percées des murailles, nous avons la vision des minarets verdis, jaillissant de la ville close au-dessus de la campagne peuplée de tombeaux. Restons dans la beauté claire du jour. Plus douce est ici la leçon invariable que tout répète et dont nous distraient seulement les jaillissemens des fontaines et les parfums d’orangers qui enivrent la terre. L’enfant l’apprend après son père qui l’a lui-même redite toute sa vie dans le texte immuable. Petit citoyen de la ville sainte, il n’a qu’à ouvrir ses yeux pour lire sur toutes les choses la formule de son obscur et monotone destin : se cacher, prier et mourir.