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un saint aussi à sa manière et Hadj-Ali, dans sa langue naïvement sérieuse, explique son histoire. Il a ses devoirs, il est marabout : il doit veiller au bien des troupeaux. On l’avait prié, il avait promis, l’offrande est là encore, avec toutes les autres. L’olivier saint ! il porte sur ses ramures des milliers de brindilles de laine, rousses, blondes, blanches. Si une brebis ou si une chèvre est malade, vite, on porte à l’arbre un morceau de sa toison. Chaque flocon de laine ainsi suspendu est une offrande, une prière. Et tous ces petits haillons, apportés tous les jours depuis si longtemps, font au bon olivier une pieuse toison qui le recouvre tout entier. Il semble enseveli sous des siècles de toiles d’araignées. Ainsi aveuglé, il a l’air si humble, si patient, indulgent à la crédulité des hommes. Ses feuilles ne voient plus le jour, n’offrent plus leurs miroitemens d’argent à la lumière, ne se balancent plus jamais sous les vents légers. Après l’image de la campagne pure et claire, où les jeunes plantes, dans cette poussée de printemps, percent si avidement la terre, et montent vers la vie, le vieil olivier enfloconné semble vraiment un saint. Résigné à écouter toujours les plaintes et les inquiétudes des humbles créatures, qui l’implorent, il se couvre des signes de leurs détresses. Il a l’air d’une pauvre victime chargée d’iniquités. Ce matin, il écoute les reproches ; les deux femmes entr’ouvrent leurs haïks ; elles ont apporté de nouvelles offrandes ; elles répandent sur les branches d’autres débris de toison, puis s’éloignent relevant leurs amphores.

Le bon olivier n’est pas bienfaisant seulement aux chèvres et aux brebis ; il porte des flocons de laine à bâtir des nids pour tous les oiseaux du ciel. Les deux suppliantes ne sont pas loin, et déjà les petits martinets rôdeurs foncent sur les brindilles de laine moelleuse, les arrachent, les emportent à tire-d’ailes, éperdus, comme des voleurs poursuivis.

L’éclat du soleil de midi devient trop dur. Il faut descendre vers les souks, remonter ensuite sur l’autre versant de la ville pour retrouver son logis. Voici l’ombre, la fraîcheur des ruelles. La lumière n’y vient plus que par flèches à travers les percées des légers toits de paille tendus d’une terrasse à l’autre. Au fond des échoppes, les marchands, allongés sûr des coussins ou repliés sur leurs jambes croisées, attendent sans fièvre les acheteurs. Ils fument leurs grandes pipes de kif. Au-dessus d’eux, pendus aux cloisons, les tapis de hautes laines, les caftans à