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d’aller à l’armée comme volontaire. C’est le vrai moyen de relever sa réputation et de lui attirer l’amour et le respect de tous les Français[1]. »

Ces virils conseils n’étaient guère suivis par le Duc de Bourgogne qu’enchaînait, outre la timidité de sa nature hésitante, son respect aveugle pour son grand-père. Ce dut être dans une période de découragement sur son élève et de sévérité excessive envers Louis XIV, qu’il rendait un peu trop exclusivement responsable des malheurs de la France, que Fénelon écrivit cet Examen de conscience sur les devoirs de la Royauté, qui, trouvé dans les papiers du duc de Beauvilliers, confié par lui à la duchesse, remis par celle-ci au marquis de Fénelon, fut publié par ce dernier en 1734 à la suite d’une édition de Télémaque. Cet Examen fut-il mis par Beauvilliers sous les yeux du Duc de Bourgogne ? On en peut douter, car les termes dans lesquels il est conçu n’étaient pas de nature à l’entretenir dans ce respect pour son grand-père dont Fénelon lui recommandait par ailleurs de ne pas s’écarter. C’est moins une série de conseils à l’adresse du Duc de Bourgogne qu’une véritable diatribe contre Louis XIV, et cette diatribe, juste assurément en plus d’un point, laisse éclater cependant l’amertume que gardait Fénelon de sa longue et injuste disgrâce. C’est en effet le Duc de Bourgogne qu’il apostrophe, mais c’est bien certainement à Louis XIV qu’il pense, lorsqu’il semble reprocher à ce jeune prince qui n’avait pas encore régné les fautes commises par son aïeul.

« Ne vous êtes-vous point imaginé que l’Évangile ne doit point être la règle des rois comme celle de leurs sujets, que la politique les dispense d’être humbles, justes’, sincères, modérés, compatissans, prêts à pardonner les injures… N’avez-vous rien pris à aucun de vos sujets par pure autorité et contre les règles… Avez-vous examiné à fond les vrais besoins de l’Etat pour les comparer avec l’inconvénient des taxes, avant que de charger vos peuples… N’avez-vous point appelé nécessité de l’Etat ce qui ne servoit qu’à flatter votre ambition comme une guerre pour faire des conquêtes et pour acquérir de la gloire… Avez-vous donné à vos sujets le mauvais exemple d’un amour déshonnête et criminel ? Si vous l’avez fait, votre autorité a mis en honneur l’infamie ; vous avez rompu la barrière de la pudeur et de l’honnêteté ; vous avez

  1. Œuvres complètes de Fénelon. Édition de Saint-Sulpice, t. VII, p. 323 et passim.