Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/899

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et qui boit aussi la verdeur des végétations où les oliviers et les aloès répètent éternellement leurs tonalités de grisaille, de cendres. Les débris des remparts consumés, où l’incendie semble avoir fait brèche s’émiettent en poussière sous nos pieds et, là où les blés commencent à sortir de terre, les rayons brûlans s’abattent comme des faucilles qui tranchent prématurément la moisson.

Si le clair royaume des eaux nous donne la figure des mystères heureux de Fès, voici déjà les mystères douloureux : d’abord ces champs que les pluies du ciel n’ont pas visités depuis douze semaines et que les torrens n’atteignent pas. Au loin, le fleuve Sebou voit baisser sa nappe large étalée comme une eau sans vie et pour que Fès ne soit pas vraiment un tombeau il faut du blé, beaucoup de blé. La sécheresse s’annonce, implacable. Le Maghzen prend-il des mesures pour assurer les subsistances ? Le pays n’est pas sûr, les routes manquent, les convois sont chers, les perpétuelles révoltes, le brigandage permanent s’opposent aux échanges. Or, les forces des hommes ici sont moindres que les obstacles. Mais voici le remède : à genoux sur le chemin, une centaine d’enfans sont affairés à une besogne mystérieuse, 1e les vois ramasser des pierres, les cribler à travers un tamis. J’entends le nom de Moulay Idriss passer indéfiniment sur les lèvres, dans une ferveur de litanie. Moulay Idriss ! Moulay Idriss ! J’ai avec moi le bon serviteur Hadj-Ali qui a droit au turban vert, car il a été à la Mecque et il sait les rites, et je l’interroge. « Ceux, que tu vois là, me dit-il, ce sont les enfans de Tlemcen. Par ordre de Moulay Idriss, ils doivent ramasser des pierres, beaucoup de pierres ; on les mettra dans des grands sacs et on les jettera dans le fleuve Sebou. Alors le grand Saint peut-être il donnera la pluie. »

La tête ceinte seulement d’une corde, le crâne rasé, nu sous le soleil flamboyant, les patiens enfans de Tlemcen répètent sans lassitude le geste rituel. Ils choisissent les pierres les plus rondes, les plus polies, car il ne faut pas porter de mauvais cailloux au fleuve Sebou. On n’ose les observer longtemps : toute curiosité blesse la pudeur religieuse. Ils sont là pour tout le jour, pour tout demain : l’exaltation fervente les soutient, et cet appel à Moulay Idriss, lancé à chaque levée et retombée du bras, infatigable. Moulay Idriss, le père, le fondateur de la ville sainte, — le sauveur, — dont les reliques sont gardées dans un