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caractère temporaire ou local. Moïse, qui avait vu Dieu dans le buisson ardent et qui avait entendu sa loi au Sinaï, faisait ainsi prier son peuple dans les déserts. La même lumière resplendissante éclairait leurs agenouillemens. Les mêmes cieux sans fond s’ouvraient à leurs voix.

Mais après les rites profonds, communs à tous les hommes, de tous les âges, et qui courbent aussi nos peuples dans nos cathédrales, et les fronts de nos moissonneurs à l’heure où naît et meurt notre lumière d’Occident, voici les coutumes particulières. Selon des rites antiques, le sang va couler, il faut en ce jour de l’Aïd Kebir qu’un mouton soit égorgé dans chaque demeure. Le premier de son peuple, le Sultan, jeune chef de l’Islam, prend le couteau aigu et tranche la gorge d’une victime. Aussitôt accompli le sacrifice, souvenir de celui d’Abraham, des muletiers postés en attente saisissent la pauvre bête pantelante. Ils sautent en selle sur les mules réputées les plus rapides, puis, à toute vitesse fendant la foule tout à l’heure si recueillie, qui maintenant crie et s’excite, ils emportent le mouton expirant. Il faut, sous peine de malheur, qu’il arrive encore vivant à la mosquée de Karaouiyine. Le sang coule à petits ruisseaux par la gorge ouverte. Vile, vite par bonds prodigieux, dans un galop de fantasia, on se précipite. Si le mouton respire encore, lorsqu’il sera jeté sur les marches de la mosquée, alors l’année sera heureuse ; s’il est mort, il faut tout craindre. Et la foule qui veut connaître les présages court aussi, folle d’impatience dans son ardente crédulité. Elle excite, par ses cris et ses claquemens de mains, les muletiers à la vitesse. Les femmes posées comme de grands oiseaux blancs sur le rebord des terrasses poussent les « you you » stridens qui invitent à l’espoir. Les petits enfans, sous leurs capuchons rouges, orange, verts, volent comme au soleil une nuée de moucherons étincelans. Le flot en délire s’écrase sous les ogives, dans les ruelles étroites. Quand il a disparu derrière le bandeau ocré, la clameur aiguë et lointaine, le petit sillon de poussière dessine aux oreilles et aux yeux son trajet.

Les présages sont bons. Au moment où elle a été jetée sur le parvis de la mosquée, la victime a eu un dernier sursaut. L’année sera heureuse, des cris jubilans l’annoncent, les muletiers et leur cortège reviennent avec de grands rires joyeux. Et maintenant que le Souverain a obéi au rite, tout chef de famille