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désordre. On dirait une bande de bêtes à Bon Dieu devenues folles. Sous l’ogive une forme blanche est apparue. Des musiques éclatent. Les caïds reha, les caïds mia se redressent sur leurs chevaux, et tous les soldats, jetant leurs pipes, rechaussent précipitamment leurs babouches ; les sabres se relèvent en haies étincelantes. Le peuple d’albâtre massé devant le mur de la prière ne détourne pas ses regards et demeure prosterné.

Le jeune Sultan passe dans les rangs de ses troupes et gravit lentement la colline. A la tête de son cortège marche sa garde entièrement revêtue de pourpre ardente, puis ses musiciens, singulièrement enveloppés dans de longues robes étroites et raides, des teintes les plus vives et les plus disparates. Ils sonnent des musiques aigres dans d’étranges trombones. Rien de plus inattendu que cette vision violente et bruyante au milieu de ce que les choses ont ici de discret, d’atténué, de voilé. Une seule note de ces musiques les fait tout de suite reconnaître pour l’une de ces importations étrangères auxquelles lame maure, qui les accepte, demeure pourtant indifférente et fermée. Par là, tout européennes qu’elles prétendent être, elles deviennent barbares. Passent ensuite les chevaux sellés et harnachés de velours clair que mènent en main des esclaves, la rangée des étendards dont celui du centre, en soie verte brodée de mystérieux signes d’or, figure l’Etendard du Prophète. Enfin, sur son cheval à robe claire, précédé de la hampe qui porte bien haut sur le ciel, au-dessus des foules, le turban blanc cent fois enroulé, signe sacré de son pouvoir, apparaît Moulay Abd El Azis, descendant de Mahomet, chef des croyans, Sultan du Maghreb, figure papale d’une majesté simple et religieuse dans ses longs vêtemens blancs. A peine si l’ampleur nuageuse des burnous dégage le visage bronzé, doux, aux traits larges, éclairé d’un regard très brillant et très grave. Jolie apparition de jeunesse et de majesté, sans pompe barbare. Moulay Abd El Azis monte un cheval gris, très simplement harnaché à la plus traditionnelle mode marocaine : la haute serija de drap rouge sur les tapis île feutre multicolores. A ses côtés, d’un rythme lent, régulier, les grands esclaves nègres éventent les naseaux du cheval de leurs longs chasse-mouches blancs. Derrière la tête du souverain le grand parasol rouge, doublé de vert, s’éploie haut porté par les esclaves. Il ombre le grave visage, et les blancheurs du burnous. Sur le large espace, il fait une tache flamboyante.