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Quoi qu’il en soit et à supposer même, que cette lettre soit la seule par laquelle Fénelon ait donné au Duc de Bourgogne la preuve de sa sollicitude, il est certain qu’il ne cessait de porter un intérêt passionné au jeune prince dont les mésaventures et les fautes, durant l’année 1708, avaient été pour lui la cause de tant de tristesses et d’angoisses. S’il s’abstenait de lui écrire directement, ce qui nous paraît peu probable, il ne cessait pas de lui faire parvenir par l’intermédiaire de Chevreuse des avis utiles dont nul aveuglement, nulle complaisance ne tempèrent la sévérité. D’après les bruits qui, de la Cour, arrivent jusqu’à Cambrai, il lui reproche d’être trop timide, trop réservé, et de s’adonner encore à des amusemens puérils. « Si le P. P. (le petit prince), écrit-il, ne sent pas le besoin de devenir ferme et nerveux, il ne fera aucun véritable progrès ; il est temps d’être homme. La vie du pays où il est, est une vie de mollesse, d’indolence, de timidité et d’amusement ; il ne sera jamais si subordonné à ses deux supérieurs (le Roi et Monseigneur), que quand il leur fera sentir un homme mûr, appliqué, ferme, touché de leurs véritables intérêts, et propre à les soutenir par la sagesse de ses conseils et par la vigueur de sa conduite. Qu’il soit de plus en plus petit sous la main de Dieu, mais grand aux yeux des hommes. C’est à lui à faire aimer, craindre et respecter la vertu jointe à l’autorité. Il est dit de Salomon qu’on le craignit, voyant la sagesse qui était en lui[1]. »

Il blâme en termes presque durs la forme que prenaient chez le Duc de Bourgogne deux sentimens dont cependant il loue le principe : la piété et l’amour conjugal. « On prétend que M. le Duc de Bourgogne a dit à quelqu’un, qui l’a redit à d’autres, que ce que la France souffre maintenant vient de Dieu, qui veut nous faire expier nos fautes passées. Si ce prince a parlé ainsi, il n’a pas assez ménagé la réputation du Roi ; on est blessé d’une dévotion qui tourne à critiquer son grand-père[2], » et dans une autre lettre : « Ne vous contentez pas des belles maximes en spéculation et des bons propos de P. P. Il se paye et s’éblouit lui-même de ces bons propos vagues. On dit qu’il est toujours également facile, foible, rempli de puérilités, trop attaché à la table, trop renfermé. On ajoute qu’il demeure content de sa vie

  1. Œuvres complètes de Fénelon. Édition de Saint-Sulpice. t. VII, p. 320.
  2. Ibid., p. 312.