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reha, organisateurs de la parade, attendent, en fumant de longues pipes minces, le signal de se redresser et de porter arme. Monsieur le ministre de la Guerre, qui, lui, n’a pas dû se plier aux coutumes d’Europe, embarrassé dans ses robes et ses voiles, se hisse péniblement sur son cheval, avec l’aide de ses esclaves. Il passe dans les rangs. Les petits yeux endormis dans le visage gras derrière les grandes lunettes d’or sont satisfaits. Il y a cinq mille hommes, armés, habillés, montés. On le fait dire au petit groupe observateur et incrédule des roumis français.

C’est l’attente longue et patiente ; le silencieux peuple blanc s’est massé aux lianes de la colline, laissant vide la large enceinte que gardent les soldats autour du « mur de la prière. » Là pénètrent un à un des personnages voilés, tous pareils et solennels, monastiquement blancs comme au chapitre d’une cathédrale. Tous vont se prosterner devant le Msalla, tous les fronts s’inclinent devant l’Est éblouissant.

Des centaines de formes prosternées, — une seule nappe blanche, une seule masse où aucune individualité, aucun rang ne se distingue, — semblent couchées en attente sur le sol, devant le petit édicule qui jette aux yeux, par son éclat blanc, la blessure qu’y ferait une lueur d’épée. Les cavaliers des tribus se massent plus loin en phalanges distinctes, chaque groupe autour de son chef et de sa bannière. Là le geste est libre, et libre aussi la fantaisie des harnachemens, des glands, des ceintures, des selles de velours, des tapis de feutre de toutes les nuances superposés en gamme d’arc-en-ciel. Les chevaux portent au front de longues franges de soie de même teinte que la selle et la bride. Les verts doux dominent et les beaux tons orangés. Là tout hennit, frémit, caracole, sent la vie guerrière, la poudre. Tout à coup un essaim blanc traverse la plaine dans un nuage et un jacassement de poudre. C’est la fantasia, brusquement lancée au galop, la nuée d’oiseaux blancs hardis et batailleurs qui s’élance, et s’arrête si brusquement aussi qu’elle laisse dans les yeux l’image d’un éclair.

« Quand vous verrez là-bas, sous l’ogive, se mouvoir cette tache rouge qui est en ce moment au repos, c’est que le Sultan aura paru, » dit une voix. Et les milliers de regards sont tendus vers ces points rouges qui ressemblent à des pavots poussés dans les jardins verts de l’Aguedal. C’est la garde particulière du Sultan. La voici qui se dresse, qui se meut, qui court en