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charité persévérante, dissiper peu à peu les préjugés dont ils sont l’objet.

En matière politique et sociale, les préventions seront, on peut le craindre, assez longues à faire tomber. Il y a quelque temps, M. Brunetière rappelait ici même quelle faute impardonnable ce serait au catholicisme français de songer à se constituer, ou à se reconstituer en parti politique. Dès 1876, un écrivain anglais[1], M. Hamerton, notait la terreur irraisonnée et puérile, mais d’autant plus profonde, qu’inspirait à nos paysans l’idée d’un retour à l’ancien régime, à la corvée, à la dîme, à tous les abus dont leurs pères avaient pu souffrir. Ce sentiment-là, habilement entretenu et exploité par nos politiciens radicaux, est peut-être dans nos campagnes plus vivace que jamais, et il suffit à expliquer, dans les pays restés très religieux, un grand nombre d’élections à première vue assez surprenantes. Les catholiques, depuis trente-cinq ans, n’ont pas toujours fait tout ce qu’il y avait à faire pour l’extirper. Si, au lendemain de nos désastres, ils avaient loyalement offert, et, au besoin, imposé leur collaboration aux organisateurs du nouveau régime ; s’ils s’étaient mis à l’œuvre avec entrain : s’ils avaient résolument adopté et divulgué, s’ils étaient efforcés de réaliser le programme social que quelques-uns des plus généreux et des plus avisés d’entre eux avaient déjà conçu et élaboré[2], s’ils étaient tous allés régulièrement voter, leur situation actuelle ne serait pas ce qu’elle est, et ils auraient fait évanouir bien des injustes méfiances. L’œuvre est à reprendre aujourd’hui, dans des conditions toutes différentes, au total peut-être meilleures. Il faut donc souhaiter que le clergé, d’une manière générale, s’écarte systématiquement de la politique et évite de donner des gages aux partis, surtout à ceux qui déjà ne l’ont que trop souvent compromis aux yeux des masses. Quant aux laïques que la vie publique attire, on suspectera sans doute longtemps encore leur loyalisme ; mais s’ils savent être patiens, intervenir et agir avec résolution et avec tact, on finira bien par rendre hommage à la sincérité de leurs convictions et à la générosité

  1. Voyez sur le livre de M. Hamerton, dans la Revue du 1er septembre 1890, l’article de M. Jean Bourdeau, la France et les Français jugés à l’étranger. L’article a été recueilli dans le volume récent du même auteur, Poètes et Humoristes de l’Allemagne, in-16, Hachette.
  2. Voyez à ce sujet le livre de M. Georges Goyau, le Pape, les Catholiques et la Question sociale, 3e édition refondue. Paris, Perrin, 1899.