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s’intercalait dans une correspondance habituelle ; mais elle n’en est pas pour cela moins curieuse, car il est impossible de n’y pas voir une leçon indirecte à l’adresse du Duc de Bourgogne.

Fénelon, dès les premières lignes, fait l’éloge de celui qu’on appelait à la Cour le roi d’Angleterre, que l’histoire connaît sous le nom du chevalier de Saint-Georges et qui, en effet, entre son médiocre père Jacques II, et son triste fils Charles-Edouard, fait honorable figure dans la lignée des derniers Stuarts : « Il se possède, dit Fénelon, et il agit tranquillement, comme un homme sans humeur, sans fantaisie, sans inégalité, sans imagination dominante, qui consulte sans cesse la raison et qui lui cède en tout. Il se donne aux hommes par devoir et est plein d’égards pour chacun d’eux. On ne le voit ni las de s’assujettir, ni impatient de se débarrasser pour être seul et tout à soi, ni distrait, ni renfermé en soi-même au milieu du public. Il est plein de dignité, sans hauteur ; il proportionne ses attentions et ses discours au rang et au mérite. Il montre la gaieté douce et modérée d’un homme mûr… D’ailleurs cette complaisance n’est suspecte ni de faiblesse ni de légèreté ; on le trouve ferme, décisif, précis ; il prend aisément son parti pour les choses hardies qui doivent lui coûter… En un mot, le roi d’Angleterre se prête et s’accommode aux hommes ; il a une raison et une vertu toute d’usage ; sa fermeté, son égalité, sa manière de se posséder et de ménager les autres, son sérieux doux et complaisant, sa gaîté, sans aucun jeu qui descende trop bas, préviennent le public en sa faveur[1]. » Dans cet éloge, mérité, nous voulons le croire, mais poussé peut-être un peu plus loin que de raison, du roi d’Angleterre il est bien difficile de ne pas voir une sorte de portrait du prince modèle que Fénelon offrait à l’imitation du Duc de Bourgogne. « Il est singulier dit avec raison M. Emmanuel de Broglie dans le volume qu’il a consacré à Fénelon à Cambrai, que le prétendant au trône d’Angleterre se trouve justement avoir toutes les qualités qui manquaient au Duc de Bourgogne[2]. » En effet, lorsqu’il loue le Prétendant d’avoir de la décision et une vertu toute d’usage, il semble bien qu’il veuille mettre le doigt sur les deux points faibles du Duc de Bourgogne et inciter le futur héritier du trône de France à prendre le roi d’Angleterre, errant et dépossédé, pour modèle.

  1. Œuvres complètes de Fénelon. Édition de Saint-Sulpice, t. VII, p. 291.
  2. Fénelon à Cambrai, p. 235.